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Notre société du discrédit, analysée par Christian Salmon

Notre société du discrédit, analysée par Christian Salmon

Un article rédigé par Monserrata Vidal avec O.R. - RCF, le 23 septembre 2025 - Modifié le 27 septembre 2025
DialogueNotre société du discrédit, par Christian Salmon (1/2)

C'est un phénomène de société massif et diffus : le discrédit. L'essayiste Christian Salmon qui le conceptualise, observe que ce qui prime désormais, ce n'est pas le talent, ni le mérite ou la raison mais le grotesque et l'outrance. Une tendance de fond sur laquelle surfe par exemple Donald Trump, qui ne cherche surtout pas à "convaincre les masses que l'on peut changer les choses"... Cette société du discrédit, par essence "antiévangélique", est celle de la "profanation" des valeurs et des vertus.

Pour Christian Salmon, Trump ne cherche aucunement à incarner les sources de la légitimité politique définies par le sociologue Max Weber : la raison, la tradition, la loi, le charisme personnel. ©Sophie Bellard-Picavet / Hans LucasPour Christian Salmon, Trump ne cherche aucunement à incarner les sources de la légitimité politique définies par le sociologue Max Weber : la raison, la tradition, la loi, le charisme personnel. ©Sophie Bellard-Picavet / Hans Lucas

Serions-nous entrés dans une société du discrédit ? Et si notre inconscient collectif accordait plus d’attention au scandaleux, à l’outrance, au grotesque, à ce qui ne peut susciter ni estime ni adhésion ? C’est le constat assez sombre que dresse l’essayiste Christian Salmon. Dans son ouvrage "L'Empire du discrédit" (éd. Les liens qui libèrent, 2024) il décrypte le phénomène de "profanation" des valeurs qui s’immisce dans nos sensibilités. En résumé la tendance de fond dans nos sociétés contemporaines n’est pas seulement le doute - des institutions, de la parole rationnelle et des discours scientifiques - mais une certaine fascination pour la destruction.

Discrédit, un mot pour caractériser la société actuelle

Avec sa notion de discrédit, Christian Salmon offre une large grille de lecture pour analyser ce qui se passe dans nos sociétés contemporaines. Il permet de balayer aussi bien les domaines politique, sociétal, médiatique. Le phénomène observé est de nature anthropologique. Il est diffus et atteint notre inconscient collectif.

"Le discrédit affecte notre sensibilité contemporaine, explique-t-il, et fait que ce qui est notoire sur les réseaux sociaux, ce n’est pas le mérite, ce n’est pas le talent, ce n’est pas l’expertise, ce n’est pas croyance dans des idéaux, c’est l’infâme, le scandaleux, l’outrance." Il parle d’un "message antiévangélique", finalement, "qui serait un message de profanation" et dont "le principe est de discréditer l’autre".

La "société du discrédit", comme la décrit Christian Salmon, est inspirée de la Cacanie, cet empire imaginaire que Robert Musil décrit dans "L’homme sans qualités" (1930-1932). Son roman s’inspire de l’effondrement de l’empire austro-hongrois. Un empire où "les grandes structures anthropologiques s’effondrent", analyse l’essayiste, et où "chaque citoyen au fond est affecté par une sorte de désublimation, une sorte de perte de croyance en lui-même et en les autres".

 

Les réseaux sociaux, lieu d’inversement des valeurs

Au XXIe siècle, les réseaux sociaux servent de "chambre d’échos" au "sentiment diffus de perte de sens". Des plateformes comme TikTok, Snapchat, Twitch, Youtube, que Christian Salmon qualifie de "machines non pas à raconter mais à dissoudre les identités, les croyances". Autant d'espaces où s’opère la "profanation" des valeurs, des lieux de "la sainte infamie" - un titre que Christian Salmon avait pensé donner à son ouvrage. 

"L’infamie, dit-il, c’est le contraire de la sainteté et de la sanctification. C’est ce qui rabaisse, ce qui réduit tout à quelque chose d’inférieur." Il cite "un trolleur célèbre d’extrême droite" américain qui se déclarait "troll vertueux". Un homme qui, derrière son écran, se donne pour mission de "dénoncer, d’agiter le mécontentement des foules, de corrompre, de pervertir" et ce tout en s’attribuant "la vertu. C’est-à-dire une sorte d’absolutisme dans la dénonciation".

 

Trump a compris que ce n’était pas la peine d’essayer de faire croire à ces masses que l’on pouvait changer les choses

 

Donald Trump, celui qui "surfe sur le discrédit"

Celui qui, mieux que personne sans doute, a compris ce phénomène est Donald Trump. "Trump n’est pas l’inspirateur de quoi que ce soit, prévient l’essayiste, c’est un golden boy sans limite qui se croit tout permis, qui rencontre un état d’esprit d’une époque." Son élection en 2017 est, d’après Christian Salmon, le fruit de sa rencontre avec une société américaine marquée par la crise financière de 2008. Une population qui s’est trouvée à la fois appauvrie et déçue par "les institutions qui ont remis à flot les banques responsables de cette crise".

La campagne présidentielle de Donald Trump était à ce titre tout l’inverse du slogan de campagne de Barack Obama en 2008, "Un changement auquel nous pouvons croire" - "Change we can believe in". Pour Christian Salmon,"le mot believe dit bien que c’était la croyance qui était sollicitée". Il était encore question d’adhésion. Après lui, Trump a "surfé sur le discrédit".

Ce que Trump a compris c’est que "ce n’était pas la peine d’essayer de faire croire à ces masses que l’on pouvait changer les choses mais qu’il fallait au contraire les créditer de ce discrédit. C’est-à-dire, de manière paradoxale, obtenir leur crédit non pas sur la confiance mais sur le discrédit qu’il est capable de mimer, de jouer. D’où ce rôle un peu de bouffon qui va devenir l’archétype de ces hommes politiques en campagne." Christian Salmon, auteur en 2020 de "La tyrannie des bouffons - Sur le pouvoir grotesque", rappelle que ce mot de "bouffon" n’est pas à considérer ici comme une insulte, mais comme "une catégorie historico-politique qui consiste à donner une forme à ce discrédit".

 

DialogueTrump a-t-il inventé le "pouvoir grotesque"? (1/2)

La société du discrédit, comme un grand carnaval

Les campagnes de Donald Trump ont quelque chose à voir avec les carnavals du Moyen Âge. Est mis en scène ce qui permet au peuple de "purger sa colère à l’égard des puissants, d’inverser les normes et les valeurs, d’inverser le beau et le laid, le digne et l’infâme, le trivial et le sacré", résume Christian Salmon. Pour lui, Trump ne cherche aucunement à incarner les sources de la légitimité politique définies par le sociologue Max Weber : la raison, la tradition, la loi, le charisme personnel. "En lieu et place de la raison : la déraison, en lieu et place de la tradition : la transgression systématique des codes des manières de faire de la politique, de discourir."

En témoigne cet étrange meeting du 14 octobre 2024, où Donald Trump a dansé pendant 39 minutes. "Qu’est-ce que ça signifie ? Ça signifie une manière de ridiculiser le meeting en lui-même. C’est-à-dire que les gens qui sont là par conviction ou par soutien d’un candidat et d’un programme politique sont transformés en une sorte de spectateurs hilares d’un pseudo festival de musique."

S’en tenir au registre carnavalesque, c’est rendre "ce que l’on pourrait considérer comme abject désirable, ce que l’on pourrait considérer comme indigne, admirable, et ce que l’on peut aussi considérer comme scandaleux, estimable. C’est un retournement de toutes les catégories de la légitimité." Ce qui semble primer, ou en tout cas trouver un écho puissant, c’est la volonté de dégrader, de porter au plus bas ce qui est élevé en tant que norme, croyance ou valeur.

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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