Attention, lecture un peu difficile. Le théâtre est un art vivant, un texte qu’on entend, une histoire qui nous est montrée, mise en scène. Et pourtant, j’ai envie ce matin de vous faire découvrir la pièce écrite par Laurent Gaudé. Romancier, Goncourt en 2004 pour son roman Le Soleil des Scorta, et Goncourt des lycéens en 2002 avec La mort du roi Tsongor que je vous conseille vivement de lire ou relire, l’auteur dresse de grandes fresques, des histoires qui vous font voyager dans les temps et les traditions, des récits amples, bouleversants, faits de mythes et de défis. Dans ce texte pour le théâtre, on retrouve le souffle poétique et flamboyant de Laurent Gaudé, créant un monde dans lequel les personnages changent de nom, s’apostrophent et soliloquent…
L’histoire tient en peu de mots : 17 août, 17h58, ce sera la fin du monde, prédisent les scientifiques. L’histoire, Laurent Gaudé la raconte de manière décousue, croisant les regards de ses personnages. « Chacun d’entre nous se souvient de l’endroit où il était lorsque cela a été annoncé. La nouvelle a coupé le temps en deux, et nos vies aussi. »
Si la fin du monde nous est promise, que faire, que dire ? Chacun s’exprime, veut rappeler ce qui compte, ce qu’il veut sauver en dépit de la menace. Donner la vie par exemple : « Au cœur de cette nuit où tout le monde tremble, je te le dis : Tu naîtras », affirme la mère enceinte. « La tentation de la sauvagerie monte en nous. Envie d’être libre. Envie d’être féroce. Nous pouvons tout. Le désordre n’est pas pire que ce qui vient », est-il souligné lors d’un « monologue du dérèglement ». A l’évidence, la fin du monde joue comme un révélateur de ce que peut devenir l’homme, sans plus aucune limite : « Est-ce cela que nous apprenons dans ces derniers jours : ce que nous sommes vraiment ? », s’interrogent les comédiens. La peur, la colère, la violence peut-être, mais aussi le meilleur de l’humanité : « On y est. Les toutes dernières minutes de notre humanité. Les regards que nous échangeons ont la beauté de l’éternité. Les gestes prennent un sens puissant. Saisir une main. Réconforter celui qui pleure à vos côtés. Fermer les yeux. Ou les ouvrir. Pour les toutes dernières minutes. »
Qui n’a jamais pensé à la fin du monde ? Laurent Gaudé l’explique : l’idée de son texte est née en 2006, puis laissée de côté, et bientôt rattrapée par les événements : « Quelques années plus tard, il y a eu le grand confinement, cette expérience dramatique d’un monde à l’arrêt, d’une fin devenue possible, palpable, si ce n’est de notre vie, du moins de notre mode de vie. Dans son tiroir, le texte s’est mis à vibrer, à m’appeler, à vouloir sortir. » Il faut prendre ce texte théâtral pour une réflexion kaléidoscopique, un texte à proclamer, une prophétie inachevée pour faire entendre les résonances avec notre monde et sa triste actualité, dire avec force et poésie que la vie résiste : « Je ne veux pas savoir comment tourne le monde, ce qui le menace, ce à quoi il échappe. Je veux vivre et c’est tout, insiste la jeune fille. J’ai faim. J’ai envie de vivre, de courir, de trébucher et de me relever. »
« Même si le monde meurt ou le tout grand voyage", de Laurent Gaudé, paru aux éditions Actes Sud papiers.
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