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L'histoire oubliée des enfants de la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer

L'histoire oubliée des enfants de la colonie pénitentiaire de Belle-Île-en-Mer

Un article rédigé par Alix Berteloot - RCF Sud Bretagne, le 12 août 2025 - Modifié le 19 août 2025
Coup de ProjecteurL'histoire oubliée de la colonie pénitentiaire de mineurs à Belle-Ile-en-Mer

Perchée sur les hauteurs de Belle-Île-en-Mer (Morbihan), une page méconnue de l’histoire locale refait peu à peu surface. Entre 1880 et 1977, la colonie pénitentiaire de Haute-Boulogne a accueilli des milliers de mineurs considérés comme délinquants. Fermé depuis bientôt cinquante ans, le site abandonné cherche aujourd’hui à renouer avec son passé.

À l’entrée de l’ancienne colonie, trône une plaque rendant hommage aux droits des enfants. © Alix BertelootÀ l’entrée de l’ancienne colonie, trône une plaque rendant hommage aux droits des enfants. © Alix Berteloot

Il est un pan de l'histoire longtemps resté enfoui à Belle-Île-en-Mer... celui de la colonie pénitentiaire pour enfants, basée sur les hauteurs de Palais. Pendant près d'un siècle, elle a accueilli des mineurs délinquants, âgés de 12 à 21 ans, souvent dans des conditions de vie très dures.

Tout commence en 1848, bien avant l’arrivée de jeunes détenus. Cette année-là, le centre sort de terre, sur le quartier de Haute-Boulogne. À plus de 15 kilomètres des côtes, Belle-Île est alors considérée comme un emplacement stratégique. "D'abord, parce que s'évader lorsque vous êtes sur une île, c'est compliqué", rappelle Francis Villadier, ancien conservateur en chef du patrimoine et président de l'association La Colonie qui œuvre à la mémoire du site. 

La proximité immédiate avec la citadelle Vauban, où stationnent des garnisons, renforce encore la sécurité. "Qui dit militaires, dit possibilité d'arrêter une révolte et de maintenir l'ordre", poursuit-il. Résultat : peu de risques d'échappatoires, ni par la mer, ni par la terre. 

Corriger, éduquer et… punir

Initialement, prison pour insurgés politiques, le centre devient ensuite une maison centrale de force et de correction. Toutefois, en 1879, la prison commence à se vider. Certains de ses détenus sont transférés vers les bagnes d'outre-mer, d’autres obtiennent une grâce présidentielle, notamment sous le mandat du président Mac-Mahon.

En 1880, l'État, sur décision du ministre de l'Intérieur, décide de transformer le centre en colonie pénitentiaire pour mineurs, dite "à vocation maritime et agricole". L’objectif : accueillir des jeunes âgés de 12 à 21 ans (la majorité étant alors fixée à 21 ans), soit acquittés mais non rendus à leurs familles, soit condamnés à de courtes peines, de six mois à deux ans.

Les premiers enfants débarquent sur l'île au début du mois d'août. Le mot d'ordre sur place : corriger et éduquer. L'idée des colonies pénitentiaires est "de redresser et d'éduquer les enfants, rôle que l'État jouait en tant que parent, précise le président de l'association La Colonie. Et, éventuellement, de leur apprendre un métier".

Les jeunes reçoivent des cours d'instruction générale. Ils sont aussi formés aux travaux agricoles et à l’élevage, notamment à la ferme de Bruté, située à trois kilomètres de Haute-Boulogne. Ils bénéficient également d’un enseignement maritime. "Dans l'une des cours du centre, un bateau fut mis en cale sèche pour que les jeunes colons s'exercent au métier de marin", raconte Francis Villadier. Le but ? Les intégrer ensuite "dans les équipages de la marine marchande ou militaire".

Une discipline quasiment militaire

Mais la réalité de la vie quotidienne est bien plus sombre. Le régime est strict, presque carcéral. "Le traitement de ces adolescents va être beaucoup plus un traitement de masse avec un règlement militaire", souligne l'ancien conservateur de musée. Plusieurs sources et témoignages permettent d'affirmer, qu'avant la Seconde Guerre mondiale, "les conditions de vie étaient loin d'être agréables", pour ne pas dire très difficiles.

À commencer par les conditions de logement. À Belle-Île, les plus jeunes dorment dans des dortoirs collectifs, sous les toits, appelés "cages à poules". Les plus âgés sont quant à eux isolés dans des cellules individuelles, d'environ 2,5 m sur 2 m, pourvues d'un œilleton à la porte et de barreaux aux fenêtres.  

Au XIXe et début XXe siècle, le moindre écart peut conduire "au mitard", une cellule sans fenêtre, sans lit, juste une paillasse au sol, avec du pain et de l’eau. "Une punition très dure" pour un enfant. D'autant que les gardiens, "qui étaient des gens sans aucune formation, connaissaient surtout la violence comme méthode d'éducation". 

À cela, s’ajoute la violence interne, avec "des caïds" qui imposent leur loi. Pour Francis Villadier, "le désespoir (des enfants) venait aussi (du fait) d'être coupé de tout le monde (...) et de leur famille". L’isolement et l’ennui, rendant l’atmosphère encore plus étouffante.

Prévert, la poésie pour dénoncer

Dès 1924, l’écrivain Louis Roubaud s’empare du sujet. Il visite plusieurs colonies pénitentiaires, dont celle de Belle-Île, et dresse un constat accablant. Quelques années plus tard, le journaliste Alexis Danan publie une série d’articles dans Paris-Soir (quotidien fondé en 1923) et trois ouvrages, donnant la parole aux enfants eux-mêmes. En effet, à l'époque, plusieurs "journalistes ont pu visiter ces colonies pénitentiaires" avec l'accord de l'administration. 

Si l'opinion publique s'en émeut, il faut attendre les années 1930 pour voir poindre une réelle prise de conscience. En 1934, une évasion massive, déclenchée à la suite de maltraitances sur un garçon qui a osé "grignoter son bout de fromage" avant l'heure, fait la une : 56 jeunes colons s’échappent de la colonie, avant d’être rattrapés et lourdement punis. L’événement inspire à Jacques Prévert, alors en vacances sur l’île, le célèbre poème "La Chasse à l’enfant", mis en musique par Wladimir Kosma et chanté par Marianne Oswald.

Son texte, mêlé à une vaste campagne de presse, crée un "électrochoc" auprès du grand public et "débouchera sur d'énormes manifestations". L’avocat Louis Rollin crée un groupe à la Chambre des députés "pour la défense de l’enfance malheureuse" et demande une enquête parlementaire. Le directeur de la colonie de Belle-Île est quant à lui muté. Mais la guerre fige ces prémisses.

Ce n'est qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, qu'un changement d'approche est définitivement opéré. L’établissement devient une "institution publique d’éducation surveillée" (IPES), conformément à l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante qui établit la primauté de l’éducation sur la répression. En découlent de nouvelles méthodes d'approche dans la pédagogie et l'accueil des enfants au sein des lieux de détention. 

"C'est le moment où l'on crée les juges pour enfants et l'on commence à considérer que ces grands établissements avec 300-400 gamins ne sont pas viables." C'est aussi le moment où des juridictions spécifiques pour mineurs sont mises en place, et les gardiens, formés à devenir "des éducateurs". 

Mais au début des années 1970, le site se vide peu à peu de ses occupants. Lourd à gérer, coûteux, inadapté, le centre de Haute-Boulogne ferme définitivement ses portes en 1977, tombant peu à peu dans l’oubli. 

Vers un lieu de mémoire et de culture

À Belle-Île, on cherche à tourner la page. L’île s’ouvre au tourisme et ces édifices austères, marqués par un siècle d’enfermement, sont considérés comme gênants. "Ces bâtiments, qui ne sont pas très beaux et racontent une histoire triste, font tache dans le paysage.

En 1992, la mairie du Palais rachète le site. Aujourd’hui, il accueille divers services administratifs et plusieurs associations. Une seule longère a conservé ses cellules intérieures, et quelques photos d’archives, affichées sur la façade, permettent de se plonger dans l’histoire de ces lieux.

L’association La Colonie vit le jour en 2019 pour faire la lumière sur ce pan de l’histoire locale. Depuis, elle collecte des archives et milite pour la création d’un véritable espace mémoriel. En plus de visites proposées durant l'été sur le site de Haute-Boulogne, La Colonie organise chaque année Les Rencontres Justice et Jeunesse. 

En partenariat avec la Direction de la Protection judiciaire de la jeunesse et le ministère de la Justice, cet événement, ouvert au public, est consacré à la justice des mineurs. À terme, l'association souhaite ouvrir "un lieu de référence consacré à la prise en charge des enfants et des adolescents par la justice française au XXe siècle".

Un autre projet, plus culturel, devrait bientôt sortir de terre dans la bâtisse qui abritait l'ancienne salle de classe : le tiers-lieu Propice, porté par Émilie Ducaux et Fred Planchenault. Prévu pour l’automne 2026, il ambitionne de redonner vie à ce site chargé d’histoire, sans effacer la mémoire des enfants qui y ont vécu.

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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