L'histoire de la famille catholique
Indissolubilité du mariage, sacrement célébré en vue de la procréation, interdiction de la contraception chimique... En cherchant à accompagner voire à encadrer la sexualité des couples, l'Église catholique a fait émerger un modèle de famille chrétienne. Et suscité, en particulier au XXe siècle, des réactions très vives sur des sujets qui concernent l'intimité des individus.
Au sujet de la famille, "le catholicisme n’est pas monocolore. Il peut se diviser assez gravement sur ces questions-là." ©Lilian Cazabet / Hans LucasCe qu'il faut retenir :
- Dès les premiers siècles, l'Église a attaché une grande importance à la famille
- De toutes les Églises chrétiennes, l'Église catholique défend le plus l'indissolubilité du mariage
- Sur les sujets liés à la famille et à la sexualité, le monde catholique n'est pas uniforme
Du baptême au mariage et jusqu'à l'extrême onction : par ces trois sacrements, l’Église catholique a encadré pendant des siècles la vie de générations de Français. Avec, au cœur de la vie des paroisses, la famille, véritable ADN du catholicisme. Si un modèle de famille catholique semble avoir émergé au cours des siècles, celui-ci ne masque pas les tensions nombreuses autour des questions liées à la sexualité ou à la procréation. Pour l'historien Olivier Landron, enseignant à l’Université catholique de l’Ouest, et auteur de "La famille catholique, du XIXe siècle à aujourd’hui" (éd. Cerf, 2025), le clivage droite-gauche reste une grille de lecture pertinente sur le sujet. Clivage qui traverse aussi bien les laïcs que le clergé.
L’indissolubilité du mariage, une spécificité catholique
Procréation et éducation : l’Église a toujours considéré que c’étaient là les deux objectifs du mariage, et ce dès les premiers siècles. Au sujet de l’indissolubilité du mariage, le catholicisme est "la plus, entre guillemets, intransigeante" des Églises chrétiennes, note l’historien Olivier Landron. Elle est aujourd’hui présentée l’un des quatre piliers du mariage.
Entre 1545 et 1563, lors du Concile de Trente, en réaction au protestantisme, l’Église catholique a réaffirmé avec fermeté le caractère sacramentel et indissoluble du mariage. Là où Luther et Calvin, les artisans de la Réforme protestante, ont vu le mariage comme un contrat révocable dont la procréation n’était pas la finalité. Faire du mariage un sacrement et un lien indissoluble, "ça signifie tout simplement qu’un couple, qu’une vie de famille, une naissance, se trouve intimement liée à la vie chrétienne, à la vie religieuse. Que Dieu intervient forcément dans la vie de ce couple. C’est là que le catholicisme diverge très fortement du protestantisme."
Le "monopole" de l’Église catholique sur le mariage a été battu en brèche lors de la Révolution française. Un "phénomène de laïcisation" qui, selon l'historien, n'a pas concerné "que le mariage, puisque l’Église catholique encadrait la population, comme on dit, de la naissance à la mort, avec ces trois sacrements importants que sont le baptême, le mariage et ce qu’on appelait l’extrême onction. Et ça, la Révolution le brise. Elle s’écarte d’une vision religieuse de la famille, de la société."
Au XXe siècle, spiritualiser le mariage
En s’intéressant à la question de la sexualité des couples dans les années 1920, l'abbé Jean Viollet (1875-1956) s’est montré novateur, à une époque où l’Église catholique était influencée par le puritanisme anglican et une certaine réticence par rapport aux choses du corps. Fondateur en 1918 de l’Association du mariage chrétien (AMC), il avait "compris que si on voulait faire en sorte que l’Église se rapproche d’un certain nombre de couples gagnés au laïcisme, à l’athéisme… ce prêtre a compris que l’Église doit s’intéresser à cette question-là."
Le premier à avoir insisté sur la dimension pastorale et spirituelle du couple, c’est le Père Henri Caffarel (1903-1996), fondateur en 1939 des Équipes Notre-Dame. Un véritable "tournant", pour Olivier Landron. "De manière très étonnante, l’Église catholique a mis énormément de temps pour qu’on en arrive à une pédagogie du mariage, à ce qu’on prépare les couples au mariage, observe l’historien. Auparavant c’était quelque chose de très juridique, la dimension spirituelle était souvent absente."
Henri Caffarel, qui a siégé au concile Vatican II, a développé l’idée que la spiritualité n’était pas réservée aux célibataires consacrés. C’est à lui que l’on doit les CPM ou centres de préparation au mariage, qui ont, à partir de 1956, essaimé dans tous les diocèses de France. Au cours des années 70, ces CPM "ont parfois été critiqués de manière sévère pour ne pas délivrer une formation théologique suffisante". Le procès en béatification d’Henri Caffarel a été ouvert en 2006 par Mgr André Vingt-Trois.
Les CPM comme les END ont été traversés par les grands débats de société liés au couple et à la famille. Le votre de la loi Neuwirth en 1967, autorisant la contraception chimique, a été suivi par la publication l'année suivante de l’encyclique Humane Vitae, où Paul VI interdisait cette même contraception. "Par une note pastorale, les évêques français ont tenté d’atténuer les effets d’Humanae Vitae", rapporte l’historien. Sans pouvoir empêcher les divisions parmi les fidèles. La majorité des membres des END se sont opposés publiquement à Humanae Vitae, ce qui a "blessé le Père Caffarel", attaché à la pensée de Paul VI. "L’Église est nataliste fondamentalement, elle fait la promotion de la famille et de la procréation."
Autour de la morale sexuelle catholique, un clivage droite-gauche
Jean-Paul II a été l’auteur d’une très importante théologie du mariage et de la sexualité. C’est d’ailleurs lui qui a convoqué le premier synode sur la famille en 1980. Et publié l’année suivante l’exhortation apostolique post-synodale "Familiaris Consortio", faisant ressurgir des questions très sensibles : en matière de morale sexuelle, les catholiques doivent-ils écouter leur conscience avant les directives du pape ?
Dans les années 80 ont émergé deux types de famille catholique. Il y a celles qui estiment que la vie conjugale est d’abord une affaire personnelle et privée et celles choisissant de rester fidèle à la doctrine. Pour l’historien, le clivage droite-gauche représente une grille de lecture pertinente. "L’Église n’aime pas toujours parler de politique et pourtant elle est très travaillée par la question politique. Et là, qu’on le veuille ou non c’est bien un clivage politique en partie qui divise ces catholiques."
Depuis le mariage pour tous, existe-t-il un modèle de famille catholique ?
En devenant le centre d’intérêt de certains mouvements, comme les AFC, la famille a cessé d’apparaître "comme un sujet transverse", note Olivier Landron. Il précise que "les AFC sont tout autant politiques que religieuses et elles sont de ce fait une place tout à fait singulière dans le catholicisme". Les années 2000 ont été marquées en France par la mobilisation de fidèles catholiques - plus que des évêques, note l'historien - contre le Mariage pour tous.
Depuis le mariage pour tous, "les évêques français sont travaillés par l’existence de deux modèles familiaux, analyse l’historien. Il y a le modèle classique, un homme une femme et des enfants - si possible au moins trois pour renouveler les générations." D’un autre côté il y a les familles monoparentales, les couples de même sexe… "Et l’Église en France se veut soucieuse de rejoindre cette partie du peuple aussi." Et donc il y a des tensions, analyse Olivier Landron, parfois très fortes au sein de l’épiscopat français. "Le catholicisme n’est pas monocolore, il peut se diviser assez gravement sur ces questions-là."
En 2025, secouée par le scandale des abus spirituels et des agressions sexuelles, l’Église catholique se montre prudente sur les questions liées à la famille. "Beaucoup de prêtres hésitent à parler de la question de la famille ou de la sexualité dans leurs homélies parce que, devant eux, ils ont des fidèles qui ont des positions différentes", décrypte l’historien. Une crainte des clivages, à une époque où, "qu’on le veuille ou non, la médiatisation des abus sexuels rend la parole de l’Église plus difficilement audible".


L’actualité s’enracine dans notre histoire. Chaque événement peut être relié au passé pour trouver des clés de compréhension. Relire l’histoire, c’est mieux connaître et comprendre le présent. Chaque semaine, Frédéric Mounier, auteur du blog Les Racines du présent, invite des historiens à croiser leurs regards sur un sujet contemporain pour mieux appréhender notre présent et envisager l’avenir.




