« Leur désir est sérieux » : Gabrielle de Tournemire redonne sa dignité à l’amour en situation de handicap
Dans son premier roman intitulé Des enfants uniques, publié chez Flammarion, Gabrielle de Tournemire raconte l’amour fragile et tenace d’Hector et Luz, deux jeunes en situation de handicap mental. Un récit né d’une année immersive en foyer, et d’une question essentielle : comment accompagner le désir d’amour et d’engagement chez les personnes en situation de handicap mental ? Une histoire d’amour délicate, construite comme un laboratoire de tendresse et d’obstacles, où la dignité se dit au plus près.
Gabrielle de Tournemire - © RCF LyonAimer “comme tout le monde” : le roman qui change notre regard
Gabrielle de Tournemire est agrégée de lettres modernes et ancienne élève de l'Ecole normale supérieure de Lyon. Son expérience dans un foyer d’hébergement pour adultes en situation de handicap a fait naître l’histoire d’Hector et Luz. Hector, timide et introverti, et Luz, solaire et spontanée, se rencontrent à 13–14 ans. Deux trajectoires singulières, deux tempéraments différents, preuve, dit-elle, que le handicap ne définit pas tout : « Deux personnes en situation de handicap ne sont pas limitées à leur pathologie ».
Au départ, rien n’était prévu : « Je n’étais pas du tout partie avec l’idée d’écrire dessus », confie-t-elle. Mais la force de ce qu’elle vivait au quotidien — la beauté, la rudesse, la poésie — l’a rattrapée.
Ce roman est d’abord une réponse à une question restée trop longtemps silencieuse : que devient le désir d’aimer chez les personnes en situation de handicap mental ? Elle raconte ces discussions intimes, ces confidences volées au quotidien : « C’était un désir exprimé de manière très récurrente ». Face au manque d'accompagnement affectif, l’autrice décide d’imaginer deux personnages qui catalysent plusieurs histoires réelles : « J’ai mis deux petits personnages dans un tube à essais et je me suis demandée : qu’est-ce qu’ils vont rencontrer comme obstacles ? »
Le roman s’ouvre sur une citation de Verlaine, “ le tendre bonheur d’une paix sans victoire ”. Une expression qui l’a marquée : « C’est des victoires qui n’en sont pas toujours, mais on arrive quand même à cette paix ».
Redéfinir la communication et la norme
L’autrice explore une autre dimension essentielle : comment communiquer quand les codes habituels ne suffisent pas ? Hector parle peu, mais ses mots sont “ issus de la nécessité ”. Luz, elle, s’exprime surtout par le corps : « Un langage des mains, des bras, de la danse ». Leur rencontre réinvente les liens, contourne les obstacles, invente un langage à eux seuls.
Gabrielle de Tournemire évoque aussi Carlo, l’éducateur qui accompagne Hector : « Bavarder, c’est pour les valides. Considérer l’absence de son comme un vide, ça aussi, c’est un truc de valides. »
Dans cette sobriété, quelque chose de plus juste se dit : l’essentiel. Pour l’autrice, il était fondamental de taire volontairement la nature exacte du handicap de ses personnages : « On a tendance à tout mettre sur le dos de la pathologie. Je voulais laisser un flou pour éviter les étiquettes ». Elle insiste : « On est d’abord Hector et Luz, pas une personne atteinte de handicap ».
Au cœur du roman : le désir d’une vie normale, simple, “ banale ”, comme celle de tout le monde. Un mot qu’elle assume pleinement : « Ce à quoi ils aspirent, c’est la banalité. Intégrer ce cercle de la norme dont ils ont toujours été exclus ».
Des enfants uniques, c’est avant tout une histoire d’amour, pas une histoire de handicap
Un petit coup de pied dans la fourmillière des prêts-à-penser
La sortie du roman a ouvert une autre aventure, faite de rencontres et de gratitude. Parents, éducateurs, lecteurs concernés sont venus la remercier. Une femme en situation de handicap moteur lui confie : « Vous mettez un petit pied dans la porte, un petit coup de pied dans la fourmilière ».
Pour la jeune écrivain, c’est le plus beau retour. Écrire ce premier roman fut « merveilleux », dit-elle, une manière de faire fructifier une expérience vécue, et d’offrir, à travers la littérature, un peu de dignité, de lumière et d’espérance à des vies trop souvent infantilisées.
Son message final est clair : aimer, s’engager, chercher à construire une histoire à deux, c’est possible, même si ce n’est jamais simple en situation de handicap. Et cela mérite d’être entendu.


Chaque semaine, un écrivain nous dévoile son ouvrage, sa personnalité, ses passions et les coulisses de son écriture, au micro de Laetitia de Traversay. L'émission est diffusée sur RCF Lyon le vendredi à 19h et le dimanche à 17h45.
