Qu'est-ce que le programme politique "Les Jours heureux" ?
En plein conflit mondial, imaginer un programme politique pour l'après-guerre qui s'appellerait "Les Jours heureux". Et, dans la clandestinité, rechercher ensemble des compromis pour poser les bases de notre État-providence. C'est ce qu'ont fait les membres du CNR, le Conseil national de la Résistance. Ces hommes à qui l'on doit notre système de Sécurité sociale.
Couverture du livre "Le Conseil national de la résistance, un programme fondateur" publié aux éditions Gallimard ©éditions GallimardTombé dans l'oubli dès 1947, le programme du CNR fait aujourd'hui l'objet d'un fort engouement parmi les politiques, alors même que des inquiétudes subsistent sur le financement de ce modèle.
Le programme du CNR, qu'est-ce que c'est ?
En pleine Seconde Guerre mondiale, la Résistance organisée - c’est-à-dire une partie de la Résistance - a préparé l’avenir démocratique de la France : c’est de cette volonté qu’est né le programme du CNR. Pourtant, on peut dire qu'à peu près tous les courants de pensée étaient représentés au sein de la Résistance : monarchistes, maurassiens, communistes ou anarchistes…
Cette grande diversité n'a pas empêché les Résistants de se projeter ensemble dans l'avenir. Et, dès 1941, de "commencer à réfléchir à la future démocratie", précise Claire Andrieu, historienne, spécialiste de l'histoire politique de la France contemporaine, professeur émérite des universités. Elle a dirigé la publication du livre "Le Conseil national de la résistance, un programme fondateur" (coll. Folio histoire, éd. Gallimard, 2025).
Le 27 mai 1943, au premier étage du 48, rue du Four, au cœur de Paris occupé, et prenant tous les risques, les seize membres du CNR se sont réunis sous la présidence de Jean Moulin. En tant que "délégué général du comité français de la libération nationale qui allait se constituer quelques jours plus tard", raconte Claire Andrieu, Jean Moulin a obtenu de tous ses membres un texte. "Ce texte va préparer, aider le général de Gaulle à préparer la libération."
Le programme du CNR a fait l’objet de débats tout au long de l’été 44. Il a finalement adopté à l’unanimité le 15 mars 1944, après la mort de Jean Moulin. Son successeur Georges Bidault, "a été très patient, tolérant, afin d’aboutir à un accord général". L’historienne constate que dans le domaine politique, le texte est "plutôt conservateur" - il ne dit rien du vote des femmes par exemple. Il ne dit rien non plus de la constitution, sujet jugé trop clivant pour être évoqué alors.
La recherche du compromis, l'esprit du CNR
Au sein du CNR, embryon clandestin de la représentation politique française, l’ensemble des syndicats, mouvements et partis politiques – sauf l’extrême droite – étaient représentés. Leur maître-mot : le compromis. Claire Andrieu décrit "une période de compromis successifs, nombreux, intenses".
Si unanimité il y a eu au sein du CNR, c’est sur l’idée de démocratie économique et sociale. Publié sous le titre "Les Jours heureux", le programme du CNR répondait à l’idée "qu’il fallait reconstruire une France démocratique et sociale" - idée "déjà tout à fait installée" à l’époque selon Claire Andrieu.
"L’originalité de ce programme c’est la Sécurité sociale", résume Claire Andrieu. Le CNR "demandait aussi des nationalisations d’ampleur, une représentation des salariés dans la représentation des entreprises, ce qu’on appelle encore aujourd’hui les comités d’entreprise, et une planification, une économie dirigée".
Serions-nous nostalgiques de l’après-guerre ?
S’il y a eu "des désaccords très vifs, par exemple sur les nationalisations et la Sécurité sociale", comme le décrit Claire Andrieu, "in fine, au moment du vote final", il y a eu unanimité. Est-ce de cet esprit de compromis dont nous sommes nostalgiques aujourd’hui ? Pu bien d'une période où l'on pouvait encore imaginer une société idéale ? La mémoire du programme du CNR s'est éteinte dès 1947, rappelle Claire Andrieu. Le contexte de la guerre froide n'y est pas pour rien.
L'engouement actuel de forces politiques diverses pour le programme du CNR s’apparente à une invocation quasi mystique. Claire Andrieu le voit surgir dès 1990, au moment de la libéralisation des mouvements de capitaux. Puis, en 2004, l'organisation altermondialiste Attac a organisé un colloque à Nanterre sur le thème : "Rassemblement de la résistance et des alternatives au néolibéralisme". Et depuis plusieurs années, le programme du CNR est défendu tout autant par Nicolas Sarkozy, François Bayrou, François Hollande ou Jean-Luc Mélenchon.
Que cherche-t-on à défendre à travers le CNR ? Est-ce une unanimité que l’on peine à retrouver - et pour cause "l’esprit de la libération n’est plus là" ? Comme le dit Claire Andrieu, sans doute a-t-on le réflexe de "prendre appui sur un passé dans lequel on se reconnaît pour faire pression sur un présent dans lequel on ne se reconnaît pas"…
L’histoire du CNR montre-t-elle que notre pays peut s’unir lorsqu’il y a un événement violent, un drame, une angoisse nationale ? Faut-il une épreuve pour que la France soit unie ? "L’histoire semble l’indiquer, répond Claire Andrieu, mais maintenant ce n’est pas peut-être pas certain." L’historienne souligne en tout cas quelle a été "la contrainte sous laquelle la société française avait vécu pendant quatre ans, cinq ans".
La Sécurité sociale, le symbole
"Même Denis Kessler, observe Claire Andrieu, dans son fameux pamphlet de 2007, quand il appelait à défaire tout l’héritage de la Résistance, n’a pas osé mettre la Sécurité sociale dans son package." Aujourd’hui, plus de 80 ans après, les nationalisations ont été détricotées, les comités d’entreprise "se sont beaucoup transformés", la planification de l’économie a "disparu"… Finalement la Sécurité sociale, c’est "l’héritage direct de cette période de la libération".
La Sécurité sociale reste "un pilier de notre société". "Alors même que certains souhaitent la remettre en cause, elle demeure, analyse l’historienne. C’est un symbole, pour le moment personne n’oserait l’attaquer frontalement." Elle est au cœur du "modèle social français", de cette "tradition qui est ancienne et dont d’ailleurs on pourrait trouver des racines avant 45. Et qui fait qu’en Europe la société a une attitude relativement solidaire."


L’actualité s’enracine dans notre histoire. Chaque événement peut être relié au passé pour trouver des clés de compréhension. Relire l’histoire, c’est mieux connaître et comprendre le présent. Chaque semaine, Frédéric Mounier, auteur du blog Les Racines du présent, invite des historiens à croiser leurs regards sur un sujet contemporain pour mieux appréhender notre présent et envisager l’avenir.




