Les Diables (1971) de Ken Russel: rendre un blasphème baroque.
Délire anticlerical et libertaire s'inspirant de l'affaire historique des démons de Loudun et d'un roman de Aldous Huxley, "Les Diables" constitue un point de rupture dans l'œuvre du cinéaste britannique Ken Russell. Au delà de la provocation outrancière qu'il incarne, "Les Diables" demeure un film ancré dans le libertarisme de son époque, mais parvient malgré tout à s'en détacher par le prisme d'une thématique religieuse omniprésente. Thématique bénéficiant, certes, d'un traitement incroyablement subversif mais toujours exécutée avec beaucoup de soin et de talent, au sein d'une transe cinématographique sulfureuse, par le fameux réalisateur anglais. Une analyse de Jean-Marc Reichart.
Une censure apocryphe
Sorti en 1971, le film traite sans concession du phénomène des possessions et de leurs implications sexuelles dans une fièvre expressionniste si extrême qu'il entra immédiatement, et avant même son passage en salle, dans les annales de la censure.
Sur-cuté et remonté plusieurs fois dans tous les sens, "Les Diables" fit imploser un scandale si grand à l'époque que Russell dût enchaîner les biopics de compositeurs afin de purger l'outrance de ce film dont les acteurs principaux ont été menacés de prison pendant des décennies s'ils foulaient le sol italien.
Encore aujourd'hui, "Les Diables" peut être facilement considéré, au même titre que "Salò ou les 120 Journées de Sodome" de Pier Paolo Pasolini, comme étant un des films les plus moralement choquant ayant été jamais tourné. Il détient très certainement aussi le record du nombre de montages différents réalisés dans le but d'opérer une censure à son endroit. C'est dire à quel point il a dérangé à l'époque de sa sortie et continue, d'ailleurs, à déranger aujourd'hui au point que la Warner, toujours détentrice des droits, empêche encore toute diffusion d'une quelconque copie non conforme à la version censurée d'origine.
La théâtralité sauvage au service du propos
Plus politique que religieux, selon les dires de son réalisateur, cette œuvre seventies-libertaire raconte l'histoire d'un carmel de bonnes soeurs possédées par le vice, avec en tête cette mère supérieure bossue, Jeanne des Anges, au prise avec des bouffées érotiques incontrôlables. Une affaire vraisemblablement inventée et téléguidée de toutes pièces par le cardinal Richelieu, afin d'occire les protestants de la fameuse ville fortifiée aux murs d'une blancheur fantomatique.
Cela passera par l'accusation et la mise à mort du père Gandier, grand prédicateur et bouc émissaire aux mœurs déviantes mais, paradoxalement, proche de Dieu.
Baigné dans une musique atonale et stridente, le film enchaine les scènes chocs au sein d'un décorum ultra expressif qui souligne son caractère pamphlétaire. Sadisme, viols, tortures, scène érotique avec le Christ... Curieusement, c'est plutôt dans l'opposition fine qu'installe par moment Russell que son film brille et moins dans les excès provocateurs qui ont fait sa légende.
Ainsi contrastent admirablement la pièce de théâtre délirante que constitue le métrage avec la véracité du fait historique adapté, la déviance manifeste de Grandier avec son incroyable piété et enfin cette ville fortifiée spectrale: calme, blanche écarlate de jour - chaotique, bestiale et perpétuellement en guerre la nuit.
"Prends-moi, ceci est mon corps"
Servi par un Oliver Reed magnétique, plus proche du gourou que du prêtre, et par une Vanessa Redgrave tordue au possible dans son rôle de nonne-bossue-hystérique tiraillée par sa libido; cette fresque graphique complètement théâtralisée reste une expérience grand-gignolesque qu'il serait inapproprié de bouder. Les décors et les cadrages étant d'une beauté à couper le souffle, on assiste lors du visionnage à un film au très haut potentiel artistique, celui-ci se développant au niveau esthétique et formel tout comme au niveau intentionnel. Entendant l'Art comme une lutte métaphysique contre le pouvoir, Ken Russell ne fait à aucun moment de concession concernant la radicalité du traitement de son histoire. Il use volontairement de procédés extrêmes et, par la même, assène violemment son intention aux yeux du spectateur qui s'en retrouve, indubitablement et à dessein, fortement marqué.
Veillez juste, pour un plaisir de visionnage maximal, à vous procurer une version intégrale non-censurée parmis la multitude de montages proposé par cet objet filmique qui sent indéniablement le souffre. Une odeur âcre qui lui collera très certainement à la peau pour l'éternité.
Découvrez plus de décryptages de films qui questionnent ou sont en lien avec la foi chrétienne dans L'Oeil de dieu, une émission proposée par Laurent Verpoorten, co-animée par Jean-Marc Reichart et Dimitri Laermans.
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