Ce roman raconte l’histoire vraie d’un détournement colossal, du vol démesuré de quelque 200 000 tonnes de pétrole, volatilisés entre le chargement dans un port koweitien en décembre 1979 et le naufrage au large du Sénégal quelques jours plus tard. Non seulement l’immense tanker était perdu au fond de l’océan mais sa cargaison aussi. On a toutefois tenté de récupérer le pétrole, pour se rendre compte que les soutes n’étaient emplies que d’eau de mer.
Le pétrole a bel et bien été détourné entre son point de départ et le naufrage. Mais comment ? Par qui ? Vous n’imaginez pas que je vais vous dire par quel tour de passe-passe des malfrats ont réussi à s’emparer de l’or noir. Et si, aujourd’hui encore, certains détails échappent aux enquêteurs, Pascal Janovjak s’est emparé de l’histoire pour la raconter à sa manière, documentée et reconstituée par la force de l’imaginaire.
Une histoire romanesque racontée par un romancier
Cette histoire, l’auteur l’écrit durant le confinement. Et dans son livre, il entrecoupe le fruit de sa réflexion, les étapes de son travail, et aussi le journal imaginaire qu’un marin du Salem aurait tenu tout au long du voyage. « Le pont est aussi long que la rue de notre village. Quand quelqu’un est tout au bout on ne voit pas qui c’est. C’est juste une silhouette qui tremble dans la chaleur. » On imagine ce gigantesque pétrolier d’une centaine de mètres de long, dans lequel se joue malgré tout un huis clos. « Nous creusons la mer comme le soc d’une charrue », commente le marin qui évoque Bilal le costaud, Wassim le maître d’équipage, solide et spirituel, et les patrons grecs : « Ils disent que nous arriverons dans six semaines. Il ne faut pas se fier. En mer, le temps est menteur. » Et comme le temps s’étire à bord, on se raconte des histoires. « Quand nous n’avons pas d’histoires à raconter, nous grattons la réalité pour en trouver, confie encore l’homme à son journal. La seule vérité, c’est que le Salem est grand. Chacun de nous ne voit qu’une petite partie de ce qui s’y passe. » Certes, mais de là à ne pas voir comment ont disparu des tonnes de pétrole visqueux, c’est oublier quelques complicités…
Un roman qui tourne au polar
Je l’ai dit, le romancier qui habite en Italie, a profité du confinement et de l’absence de femme et enfants pour revisiter l’affaire du Salem et fuir le réel : « L’épidémie avait étendu son ombre sur nos récits, elle se répétait à l’infini. Lorsque l’idée du Salem avait surgi, j’avais cessé de consigner les affres du présent tout comme j’avais cessé de lire les journaux. » La haute mer des tankers, plutôt que l’angoisse du covid 19. Une importante documentation existait sur le Salem, ce qui n’empêchait pas le romancier de s’en emparer pour combler les silences : « C’est au moment où les aventures s’achèvent que commencent les histoires, écrit-il. Un naufrage, c’est un bateau qui passe d’un milieu à un autre. Il ne disparaît pas : il franchit la frontière entre le visible et l’invisible. Il y avait la mer, il y avait le ciel, et il y avait, glissé entre ces deux éternités, un navire d’acier. » Et si on a fini par comprendre ce qui s’était passé, c’est le littérateur qui peut en faire une légende et laisse parler le marin imaginaire : « Le passé est comme la rouille. Tout ce qu’on peut faire, c’est s’arranger avec, recouvrir de peinture. Le pétrole du Salem est passé dans l’encre des mots. Je dois cacher le cahier. »
« Le voyage du Salem », de Pascal Janovjak, paru aux éditions Actes Sud.
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