Le sentier Guillevic de l’abbaye d’Orval
À quelques pas des frontières française et luxembourgeoise, l'abbaye d'Orval fait la part belle à la poésie moderne : de nombreux poètes y ont séjourné, des séminaires poétiques y sont fréquemment organisés et la petite bibliothèque recèle quelques trésors de poésie, chrétienne ou pas. Dans le jardin zen, et surtout dans le petit bois en surplomb, ce sont les vers du poète breton Guillevic qui rythment les déambulations des retraitants.
Le sentier Guillevic de l’abbaye d’Orval / ©Elise VanesheUn parcours jalonné de poèmes
Les retraites spirituelles et la lecture de poèmes font souvent bon ménage. Le temps de la lecture poétique est un temps autre, patient et parcellaire, très différent de celui du journal ou des romans à succès.
Père Bernard-Joseph a eu la bonne idée, il y a quelques années, de créer un parcours poétique en marge de la célèbre abbaye d’Orval. Fervent amateur de poésie – et du poète Eugène Guillevic en particulier – il a fait disposer de petits écriteaux qui jalonnent à intervalles réguliers un chemin bucolique. Sur ces rectangles gris, le flâneur peut lire des vers choisis du poète Guillevic.
Lorsqu'il a imaginé ce détour poétique, Père Bernard-Joseph s’est inspiré des abbayes allemandes dans lesquelles il est fréquent qu'une balade contemplative jouxte l'édifice monastique (il s'agit souvent d'un sentier dans les bois, quelque fois jalonné de textes à lire).
À Orval, les vers de Guillevic rendent hommage à la nature et invitent à la contemplation.
L'un de ces poèmes, parmi d’autres :
« Arrête
Repose-toi
Nourris-toi du ciel
Autant qu'il te le demande ».
Panoramas successifs
Qu’on soit ou non amateur de poésie, il est recommandé de faire un détour par ce sentier lors d'une retraite à Orval. Passées les formalités d’usage à l’hôtellerie, on vous tend généralement un petit plan du site en vous conseillant de demander, le moment venu, la clé du petit portail vert d'où la balade commence.
Pour atteindre ce sésame, il faut ressortir, contourner l'entrée de l'abbaye et avancer de quelques mètres le long d'un sentier montant. Une fois passé le petit portail, à droite, on descend quelques marches, on longe des murs usés, on contourne une aire de pique-nique et une montée se présente.
En haut de la côte, la chapelle des scouts attend ; juvénile et humble. C'est une petite église parfaitement tenue, presque vide et d’une âpre beauté. C'est là, et alentour, que quelques plaques rectangulaires tombent sous le regard du passant attentif.
Des vers tendres et lapidaires :
« Quand il arrive
Au prochain sous-bois,
Il retrouve la joie
D'avoir l'ombre pour lui ».
L'édifice et son double
En contrebas, ce sont deux abbayes qui s'ignorent mutuellement. L'une est éclatante, l'autre est en lambeaux. Il y a celle, magistrale, avec son imposante Vierge à l'enfant et celle, plus près en contrebas, en ruines ; un vestige bientôt millénaire. D'un pas rêveur et lent, des visiteurs parcourent parfois ces restes aux heures d'ouverture au public.
À mesure que l’on s’aventure dans le bois, on perd ces édifices de vue. Le bois se referme sur nous comme le haut d'un panier et d'autres plaques donnent à lire d’autres vers de Guillevic. La lumière filtrée par les feuilles déchiffre avec nous les petits écriteaux comme on toucherait du braille sans le comprendre.
En avançant, c’est un carré vert éclatant que l’on découvre au fil des pas. Le sentier y descend. On longe ce petit pré. Au bout du chemin, un autre portail se dresse. On l'ouvre avec la petite clé que l'on nous a confiée à la réception. On le referme derrière soi, on revient par la route. C'est fini, déjà.
On garde en tête un vers ou deux de Guillevic et c'est ainsi qu’on contourne l'atelier dont s’approchent en voiture des dizaines de restaurateurs par jour. Que viennent-ils attendre ici, moteurs éteints, devant la grande porte close ? Quels nectars viennent-ils recueillir ? Ils viennent presque dévotement récupérer quelques caisses oranges, ornées de la célèbre truite à l'anneau. Des bouteilles d'Orval qu'il s'en iront revendre et dont la production est, dit-on, savamment rationnée.
Qui est Guillevic ?
Pour revenir au poète très apprécié du supérieur de la communauté monastique d'Orval, célébré le long de cette courte marche, il s'agit de Guillevic. Eugène Guillevic. Un écrivain français né à Carnac en 1907, mort à Paris en 1997. Il n'a signé ses textes que de son nom de famille. Un nom qui rappelle, dans sa terminaison, la rocaille des paysages de son enfance. Un nom qui veut dire petit diable en Breton.
Guillevic a mené sa riche carrière littéraire en parallèle d'une carrière tout aussi riche de fonctionnaire. Catholique pratiquant jusqu’à l’âge de trente ans, il devient sympathisant communiste au moment de la Guerre d’Espagne et renonce en apparence à sa foi. Son activité d'écrivain se dédouble : il continue de collaborer à la Nouvelle Revue Française du très conservateur Drieu La Rochelle tout en prenant part à de nombreuses publications militantes.
S’il ne revient à la chrétienté que sur le tard, son œuvre, dans son dépouillement, son usage de la comparaison plus que de la métaphore ; dans ses thématiques et dans son rythme, reste profondément et durablement marquée par le terreau culturel chrétien et par les Évangiles.
Guillevic a publié environ 120 livres, certains à tirage limité en collaboration avec des artistes de renom comme Dubuffet, Léger, Manessier ou Bazaine… Ses poèmes ont été publiés pour la plupart chez Gallimard, traduits ensuite dans plus de cinquante langues.
Guillevic a également traduit lui-même de nombreux auteurs étrangers. Des traductions de l'allemand (qu'il avait appris lors de la mutation de son père en Alsace) avec Hölderlin, Goethe, Heine, Trakl, Rilke, Brecht… mais aussi du russe, de l'ukrainien, du hongrois, du roumain, du macédonien et même de l'arabe.
Il a aussi auto-traduit ses poèmes composés dans la langue de son père : le breton.
Un poème parmi d’autres : Douceur
« Je dis : douceur.
Je dis : douceur des mots
Quand tu rentres le soir du travail harassant
Et que des mots t'accueillent
Qui te donnent du temps.
Car on tue dans le monde
Et tout massacre nous vieillit.
Je dis : douceur,
Pensant aussi
À des feuilles en voie de sortir du bourgeon,
À des cieux, à de l'eau dans les journées d'été,
À des poignées de main.
Je dis : douceur, pensant aux heures d'amitié,
À des moments qui disent
Le temps de la douceur venant pour tout de bon,
Cet air tout neuf,
Qui pour durer s'installera ».
Guillevic (dans « Terre à bonheur » - éditions Seghers, 1952, puis dans la collection Poésie d’abord, 2004)
Le sentier Guillevic de l’abbaye d’Orval / ©Elise Vaneshe
Le sentier Guillevic de l’abbaye d’Orval / ©Elise Vaneshe
©NRF

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