LE MOT DE LA SEMAINE - Le contexte international actuel, entre crises politiques graves et guerres effrayantes, appelle au plus vite un apaisement et le mot de "négociation" s’impose.
Retour sur le mot négociation.
Même si le mot « négociation » commence comme le mot « négation », il a un sens positif. Chacun devine tout d’abord qu’il est a priori issu du verbe « négocier », ce dernier venant, on s’en doute, du latin, en l’occurrence le verbe « negotiari », donnant naissance vers 1370 au mot français « négocier ». Mais d’emblée, signalons qu’il ne s’agit pas alors de régler un accord entre deux clans, mais de faire du « négoce », entendons du commerce.
Il faudra attendre 1544 pour que soient de fait attestés les entretiens pour parvenir à un accord. Mais il y a bien sûr d’abord le mot « négoce », attesté en 1190, qui de son côté signifie « occupation », « affaires », du latin « negotium » de même sens. L’origine du latin « negotium » ne manque pas de charme si l’on sait que le mot est construit à partir du préfixe « neg », négatif, qui précède « otium » loisir, « négoce » signifiant donc originellement « qui n’a pas de loisir » et par conséquent qui est comme on le disait « aux affaires. » Quelle définition est ensuite donnée en 1680 par Pierre Richelet du mot : « Négoce ? Trafic, grand commerce » avec déjà cette précision : « le négoce se fait en gros ou en détail ». « Négoce » a bien déjà alors le sens qu’il a aujourd’hui. Quant au « négociant », il est la personne et je cite « qui trafique, qui fait un grand négoce ».
En partie, mais là aussi, si on fouille dans le passé, « trafiquer » et « trafic » ont une étymologie curieuse. Il y a en effet au départ la « lie », qui se dépose au fond des récipients, en latin « faex », qu’on retrouve dans la fin du mot « fic » de « trafic ». Jusque-là, on ne voit pas le rapport, sauf si on précise que pour enlever la lie on transvase le liquide d’un vase à un autre, d’où le verbe latin, « transfaecare » se déformant en italien pour devenir « trafficare » d’où est issu le français « trafiquer », en somme purifier, en écartant la lie. Mais sans doute est-il resté quelque chose de cette lie
déplaisante dans le « trafic » parce que dès le départ le mot peut avoir mauvaise presse.
Il y avait par exemple ce qu’on appelait le « trafic de réputations », consistant à « faire commerce de réputation » « à rendre louange pour louange » signalent nos anciens dictionnaires. On lit chez Furetière par ailleurs des commentaires qui rappellent que le trafic est lié aux contraintes du moment : « on n’ose » écrit-il « trafiquer en Orient à cause de la peste ». Et il ajoute dans le même esprit : « C’est un vilain trafic que celuy des Esclaves ». On pourrait aussi citer un vieux proverbe : « C’est un gentilhomme breton, qui trafique sur les mers, qui vend ses chiens pour avoir du pain », ce qui en dit long sur la pauvreté d’autrefois en Bretagne.
Si, au sens ancien, la négociation est ce qui « est sans lie », sans déchets, alors souhaitons le meilleur, « sans » ratés, pour toutes négociations. Il faudra cependant se méfier des anagrammes. Quelle est par exemple l’anagramme de « négoce », à l’origine du mot « négociation » ? « Cognée ». Bon, c’est un mauvais départ. Je préfère cette citation de l’écrivain essayiste Albert Memmi, affirmant que « notre vie est une constante négociation entre le rationnel, l’imaginaire et nos émotions ». C’est je crois très juste, mais les guerres ne sont pas du registre de l’imaginaire : alors, vite des négociations !
Jean Pruvost, lexicologue passionné et passionnant vous entraîne chaque lundi matin dans l'histoire mouvementée d'un simple mot, le mot de la semaine !
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