
LE MOT DE LA SEMAINE - Avec l’élection du président américain Donald Trump, désormais aux commandes de la Maison-Blanche, un mot revient constamment en matière de décisions : le mot « décret ». En effet, plusieurs décrets récents ont déjà eu un impact commercial sur le Canada et le Mexique et menacent désormais la France.
C'est ce que j’ai "décrété" ce matin à 4 h 30, heure française.
D’emblée, en disant cela, on perçoit combien le mot "décret" et le verbe "décréter" ont pour le moins quelque chose d’extrêmement autoritaire ! Or, lorsqu’on consulte en 1694 la première édition du Dictionnaire de l’Académie française, l’article correspondant au mot décret renvoie à l’article décerner, sous lequel il est classé. Cela peut surprendre, tant on est habitué à l’expression décerner des compliments, des récompenses, qui n’a rien de déplaisant, contrairement à ce que suggèrent aujourd’hui un décret et le verbe décréter. Cette association est pourtant étymologiquement justifiée, car décret appartient bien à la même famille que décerner, lequel, à l’origine, signifie ordonner juridiquement et par l’autorité publique quelque chose.
On peut ainsi être étonné de lire, dans les dictionnaires du XVIIe siècle, les usages consignés à cet égard. Par exemple, on y trouve que l’on a décerné de grandes peines contre tel ou tel, bien que l’on décernât déjà aussi des récompenses. En réalité, tout provient du latin cernere (juger, décider, discerner), qui a donné decernere (décider, décréter). Son participe passé neutre substantivé, decretum, a ensuite naturellement donné en français notre décret, attesté dès le XIIe siècle comme synonyme de décision. Ainsi, le verbe décerner traduit alors une décision, qu’elle soit négative (des peines de prison) ou positive (des récompenses). Quant au décret, il émane d’une autorité : c’est celui qui détient le pouvoir qui décrète… Dès lors, une question s’impose : un décret est-il toujours d’origine humaine ?
On pense spontanément à l’autorité gouvernementale, mais puisque le mot décret est attesté dès le XIIe siècle, il faut peut-être envisager d’autres puissances. Pour s’en convaincre, il suffit de consulter la première définition donnée par l’Académie en 1694 : "Décret : ordonnance", suivie d’exemples éloquents : "Ce fut par un décret éternel de Dieu. Les décrets éternels. Les décrets de la providence divine. Les décrets du ciel." Voilà pour la puissance supérieure. Puis, par un glissement vers le terrestre, viennent d’autres exemples : "Un décret du Pape. Les décrets de l’Église. Les décrets de la Sorbonne." Enfin, on trouve le décret en tant qu’ordonnance du Magistrat, qui porte ordinairement saisie de la personne ou des biens. On ne s’étonne donc pas de relever cet usage : "On dit décréter une maison, une terre, pour dire en faire le décret pour le paiement des créanciers…"
Il convient aussi de signaler l’emploi impératif de la majuscule pour un autre sens du mot Décret au Grand Siècle : "On appelle Le Décret un recueil d’anciens Canons des Conciles, de Constitutions des Papes & de Sentences des Pères." Mais s’agissant de l’avalanche de décrets américains, je suis soudain inquiet en lisant cette citation de Régnier : "Ces jours, le bien de Jean par décret fut vendu." Non, tout de même, je n’imagine pas qu’un Président, fut-il fou, en arrive jusque-là. Ciel, qu’on me laisse au moins ma guitare…
Jean Pruvost, lexicologue passionné et passionnant vous entraîne chaque lundi matin dans l'histoire mouvementée d'un simple mot, le mot de la semaine !
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