
LE LIVRE DE LA SEMAINE - Christophe Mory revient sur le premier roman d'Axel Auriant. À travers ce livre, l'auteur transmet sa passion pour le théâtre et décrit avec panache l'apprentissage aux Cours Florent, grande institution de théâtre française.
Né en 1998, Axel Auriant est un jeune comédien. Rue de la Gaîté est son premier roman. Souvent, les premiers romans se partagent entre la force des illuminations et les comptes à rendre, une autobiographie qui pollue le récit. Ainsi, de l’homosexualité non aboutie du grand-père avec Marcel, grand comédien, ou encore des comptes non soldés avec la mère. Tout cela est pardonné à la lecture par la grâce de ce récit d’apprentissage du théâtre.
Inscrit aux Cours Florent, le narrateur trouve du boulot comme ouvreur au théâtre Montparnasse sous la direction de Madeleine (on reconnait Myriam Feune de Colombi, cette immense dame du théâtre, ancienne de la Comédie française, qui reçut en cadeau de son époux, pour leur quarantième anniversaire de mariage, le
théâtre Montparnasse). Il raconte comment se placent les spectateurs entre pairs et impairs, dans cette singulière liturgie du théâtre. Les premiers pas d’un jeune homme dans cet univers vespéral et singulier sont ici merveilleusement décrits. Aux Cours Florent, le plus important est d’entrer dans la dite "classe libre" qui fut longtemps animée par Francis Huster. En sont sortis Pierre Niney, Isabelle Adjani, Audrey Tautou, Daniel Auteuil. Pour les autres étudiants, "le cours joue sur la confusion", indique Axel Auriant.
Comment reproduire la vie sur scène si elle vous échappe ? Son grand-père avait étudié le théâtre, il avait même joué Cyrano de Bergerac, le rôle dont tout le monde rêve. Notre narrateur va s’éprendre d’un certain Marvin et découvrir ou confirmer son homosexualité. Il va surtout apprendre à être lui-même. "Sur scène, écrit-il, j’ose enfin conquérir la liberté de me rencontrer". Que de chemins parcourus quand il avouait : "Je n’ai jamais pris le risque d’être moi-même par peur d’être rejeté".
Deux personnages vont l’aider, comme des tuteurs : Estelle, la prof du Cours Florent, et Marcel, un vieux comédien qui joue le misanthrope au théâtre du Montparnasse. Qui est Marcel ? J’ai pensé à Marcel Philippot, décédé le 3 mars 2018, vieux routier des planches. Ou à Marcel Maréchal qui nous a quittés en 2020, immense comédien qui avait le goût des textes et des mots. Car le Marcel de ce roman, Rue de la Gaîté, enseigne au jeune homme comment dire la tirade du nez d’Edmond Rostand.
En quelques pages, on prend une belle leçon de théâtre. Il parle du silence : "Un silence, c'est l’expression d’une pensée qu’il faut construire en amont". Et plus loin : "Un silence vaut parfois plus que les mots. Il plonge le spectateur dans le mystère du sentiment. (…). Le silence, c’est la pensée en chemin". Tout ce qu’il dit est si juste.
Estelle, la professeur du Cours Florent, dit au narrateur : "Je suis là pour vous aider à vous approprier les mots des autres, pour en faire vôtres. Pour qu’ils expriment votre pensée. Pour ça, il faut suffisamment travailler vos répliques. Alors, allez-y : essayez, amusez-vous, trompez-vous, tordez-les, essorez-les. N’essayez pas de jouer bien ou juste, comme les autres, mais comme vous-mêmes. C’est ce qui fera la différence plus tard".
Au théâtre et d’abord à la vie. Les deux se confondent. Si je vous parle d’une pièce qui se joue à Dijon et que vous vivez à Brest, cela vous parlera parce que le théâtre est l’école de la vie. Ce n’est pas pour rien que les Jésuites dès le XVIIe siècle imposent le théâtre dans leur formation scolaire. Axel Auriant le rappelle : "Au théâtre, le présent est trop beau pour ne pas être partagé".
Chaque jeudi à 8h44, Christophe Henning (La Croix) et Christophe Mory (RCF et Radio Notre-Dame) présentent le livre de la semaine.
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