Philippe Soler, pianiste et pédagogue, se confie au micro de Bertrand Lachanat, à propos de son expérience face à la musique, face aux langages dit "contemporains".
Suspendre le temps, laisser flotter une note, un accord. Et comme Baudelaire « Faire tourner les sons et les parfums dans l’air du soir » Ô langoureux vertige. Ne rien résoudre. Esquiver la ligne d’horizon, se faire brumeux à l’aide de sonorités laiteuses et ouatées. Prendre le chemin d’un Turner pour peindre le flou, la transparence. S'autoriser tous les interdits. Conjuguer les anciens modes, ceux du plain-chant, les modes antiques, les modes médiévaux. Découvrir les musiques de Bali, de Java, d'Extrême-Orient. Se faire nouveau en conjuguant d’autres langages, ceux qui existaient bien avant que l'Europe occidentale ne fasse du système tonal, son seul et unique principe d'écriture. C’est en cela que Debussy se fera moderne, pas à pas, de manière feutrée, mais marquant au fer rouge, les générations de compositeurs à venir.
Ils seront trois à inventer un nouveau langage. Schoenberg, Berg, Webern. Ce dernier affirmera son appartenance au système atonal, avec la composition de courtes pièces, convaincu que l'utilisation de ce principe d’écriture ne supportait pas les grands développements. Il travaillera sur la forme brève, nous laissant des pages d'une perfection, d'une pureté absolue, se détachant du poids de Wagner, de Mahler.
Quant à Berg, il se fera lyrique, poussant l’expressionnisme à sa tension maximale. Berg lyrique à un point tel, qu'on en oubliera sa technique d'écriture, atonale, sérielle, dodécaphonique, peu importe. Berg chante et chantera jusqu'au bout, de ses premières œuvres à son dernier concerto « A la mémoire d'un ange »
1912/1913, années fastes, années charnières dans l’histoire de la musique avec tout d’abord, la création du « Pierrot lunaire » de Schoenberg, ce Pierrot viscéralement berlinois. Il verra le jour entre chansons réalistes, mélodrames, monodrames, spectacles de cabarets, ces cabarets qui fleurissent, ces cabarets synonymes de tous les plaisirs, de tous les excès, mêlant sexualité débridée, paradis artificiels, avant que les chemises brunes ne débarquent. Ce Pierrot lunaire fera un triomphe dans le Berlin des années 1910.
L’année suivante verra à Paris, au Théâtre des Champs Elysées, un autre triomphe, au parfum de scandale, avec la création du « Sacre du Printemps » de Stravinsky. La modernité de ce ballet, tant sur le plan musical que sur le plan chorégraphique sera abrupte pour le public, lequel hurlera, sifflera jusqu'à couvrir l'orchestre. Les gens se battront dans la salle, devenant totalement incontrôlables.
Et en 1917, ce sera au tour d’Erik Satie de produire son tapage, son chahut avec « Parade » un ballet sur un livret de Jean Cocteau et des décors de Picasso. Cette œuvre, choc esthétique en pleine Première Guerre mondiale, entrelacera cubisme, futurisme, et music-hall. Se mêleront dans ce ballet, l'univers du cirque, du cinéma muet, de la foire, Satie intégrant à sa musique des bruits de revolver, de machines à écrire, de bouteilles, de sirènes, un ballet en avance sur son époque préfigurant les musiques concrètes à venir.
Le groupe des Six, ne sera rien d'autre qu'une bande d'amis, une bande parrainée par Jean Cocteau, aux esthétiques différentes, mais avec ce souci, ce besoin de clarté, de transparence, de dépouillement. Être expressif, sans pathos, sans débordement. En art pour avancer, il faut rompre, il faut se détacher de ce qui est ancré, à savoir l’impressionnisme. Alors Poulenc chantera à pleine voix, et puis on reviendra vers des formes plus anciennes, on ira puiser dans le baroque. Cela s’appellera le néoclassicisme.
Rendez-vous jeudi 20 mars à 16 heures dans "Tous mélomanes".
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