IA : pour Laurence Devillers, « il est urgent de se former » face à la révolution technologique et métaphysique de l'intelligence artificielle
Laurence Devillers, professeure en intelligence artificielle à Sorbonne Université et chercheuse au CNRS, démystifie l'IA dans son ouvrage L'IA, anges ou démons, le nouveau monde de l'invisible publié aux éditions du Cerf. Au micro de Lætitia de Traversay dans l'émission Des livres et vous, elle explique pourquoi il est urgent de comprendre ce qui est en train de se passer et de se former face aux bouleversements générés par l'irruption de l'IA dans nos vies.
Laurence Devillers - © RCF LyonL'IA, l'Informatique Augmentée et les risques de la déresponsabilisation
Face au « langage marketing des géants du numérique » qui prétend que la « super-intelligence est à nos portes », Laurence Devillers propose pour commencer de remettre le terme en question. Elle préfère parler d'« informatique augmentée », une idée qui vise à améliorer notre intelligence et notre interprétation du monde, plutôt que de chercher à refaire ou remplacer l'humain.
Selon elle, il est crucial de démystifier l'IA en comprenant sa construction : l'IA imite certaines capacités humaines comme l'apprentissage ou la reconnaissance de formes. Elle fonctionne en encodant le contexte des mots (ce que l'on appelle le « perroquet stochastique »), sans atteindre le niveau d'abstraction émotionnel ou moral humain.
Le fonctionnement des outils comme ChatGPT, avec leur part de hasard, n'est jamais clairement expliqué aux utilisateurs. L'un des dangers majeurs réside dans la déresponsabilisation des géants du numérique. En promouvant l'idée d'une personnalité juridique pour la machine, ils tentent de se dédouaner des conséquences en cas d'influence néfaste. On se souvient notamment de cas d'adolescents poussés au suicide par l'IA utilisée comme psychologue.
Loi, normes et éthique : le triptyque indispensable pour encadrer l'IA
Laurence Devillers insiste sur le fait que l'IA représente des outils réactifs et potentiellement autonomes, ce qui génère un certain nombre de risques. Pour les
encadrer, elle évoque le « trépied » de la régulation : la loi, comme le projet de loi sur l'IA au niveau européen ; les normes : une normalisation technique est nécessaire pour que les outils informatiques soient en accord avec les lois ; l'éthique : elle n'est pas là pour juger, mais pour servir d'outil de réflexion, permettant de bien peser le pour et le contre, les risques et les bénéfices, pour les constructeurs et les utilisateurs de machines.
L'autrice rappelle que l'urgence est de former tout citoyen à l'utilisation éclairée de ces outils, de l'enfant à l'adulte. La véritable menace de l'IA ne réside pas dans un remplacement massif, mais dans la « guerre de manipulation » et le « conditionnement collectif » qui pourraient résulter d'une éducation non critique, avec
"des professeurs générés par l'IA".
Le langage, ce n'est pas seulement une accumulation de mots. Ces mots trahissent une personnalité, des idées, une vision, une religion
Cultiver la spécificité humaine de penser par nous-mêmes
Laurence Devillers, qui est aussi présidente de la Fondation Blaise Pascal, travaille activement à cette transmission. Sa fondation a notamment construit des « capsules numériques et éthiques » testées auprès d'enfants, basées sur la maïeutique de Socrate pour développer leur esprit critique.
Son message est clair : il faut apprendre à utiliser l'IA en étant éclairé et conscient des risques. Elle conclut par une phrase de Blaise Pascal : « il faut apprendre à agir avec raison dans l'incertain » et garder la spécificité humaine que sont la liberté et la possibilité de penser par nous-mêmes.


Chaque semaine, un écrivain nous dévoile son ouvrage, sa personnalité, ses passions et les coulisses de son écriture, au micro de Laetitia de Traversay. L'émission est diffusée sur RCF Lyon le vendredi à 19h et le dimanche à 17h45.
