La Terre verte, une épopée médiévale sur la soif de pouvoir et l'accaparement des terres qui résonne étrangement avec notre époque. Un récit plein de rebondissements mis en scène par un formidable trio : Alain Ayrolle au scénario, Hervé Tanquerelle au dessin et Isabelle Merlet à la couleur. Un très bel album édité chez Delcourt.
C'est une épopée tout droit sortie d’ une pièce de Shakespeare. La Terre verte raconte les aventures d’un bien étrange personnage, un homme au corps tordu, bossu et boiteux, un certain Messire Richard, qui après avoir été roi honni d'Angleterre, sous le nom de Richard III, voulu devenir roi du Groenland.
Dès le début de notre histoire, nous le voyons débarquer sur cette terre de misère qu’est le Groenland. Une terre sans arbres et donc sans bois pour se chauffer ou fondre des armes. Sur place, des descendants de Vikings tentent de survivre. Lointains héritiers de cette prestigieuse civilisation nordique, ils en ont perdu les codes et les traditions et sont dirigés par quelques aristocrates couards et corrompus. Pour la population, l'arrivée de ce Richard est un signe de Dieu, la possibilité de croire en un avenir meilleur où ils renoueraient avec une forme de prospérité. Richard va réussir à incarner leurs rêves et leurs espoirs pour le meilleur et surtout pour le pire, car Richard est un personnage torve habité par une soif inextinguible de pouvoir. " Je veux contempler à nouveau des dos serviles, des sourires craintifs, des yeux subjugués, savourer les convulsions d’envieux qui ne pouvant œuvrer à ma perte osent à peine la souhaiter. " On ne peut mieux décrire cette rage de dominer. Et pourtant le scénario qui nous emmène à la suite de Richard dans la conquête de cette terre sait aussi nous le rendre attachant.
Il faut dire pour cela qu’il a l’amour de la belle Ingeborg, une femme qui porte les armes et qui est à la tête de la garde. Au fil des pages, elle va devenir sa bonne conscience, une femme qui croit en lui mais qui sait aussi lui montrer chaque fois qu’il bascule du mauvais côté de la force. C'est donc un personnage complexe capable d’aimer et d'être aimé comme de commettre les pires horreurs. Richard c’est vraiment l'incarnation de l’hubris, de la démesure, une fuite en avant dans l’avidité et l’accaparement. Et c’est bien ce que montre ce récit.
Aux échecs, apprend-on dans cet album, l'évêque et le fou s'incarnent dans la même pièce et dans cette histoire, ils accompagnent Richard chacun à leur façon. Enfin pour l'évêque, c’est plutôt Richard qui l’accompagne car comme l’explique l’ecclésiastique qui vient d’être nommé évêque du Groenland: “Pour restaurer la pureté de la foi dans mon évêché, la prière ne suffira pas,” Il a donc besoin de l’aura et de la violence de Richard pour s’imposer.
Quant au fou, il est un peu devin, un peu bouffon et de sa bouche sortent de nombreuses vérités mais “que devient le fou d’un roi quand le roi devient fou ?”
L'histoire de Richard et de ses acolytes nous emporte dans un tourbillon de rebondissements. Bien qu’elle se déroule il y a plus de 500 ans en 1492, elle fait écho à de nombreuses préoccupations contemporaines, comme la tyrannie et la folie d’un roi tout puissant qui veut conquérir le Groenland, l’accaparement des terres dans la colonisation, l’anéantissement d'une culture et la destruction de la nature... Quant aux peuplades autochtones, les skretings, leur secret est bientôt découvert par la belle Ingeborg. Pour résister face au froid et à la longue nuit, ils n’ont d’autres solutions que de renoncer au pouvoir et de choisir l’entraide. C’est bien "le souci de l’autre qui les rend plus forts."
La Terre verte un magnifique album avec des dessins inspirés des miniatures médiévales et des danses macabres. Les dialogues sont particulièrement riches et on savoure cette langue qui porte cette histoire.
La Terre verte avec Alain Ayrols au scénario, Hervé Tanquerelle aux dessins et Isabelle Merlet à la couleur est vraiment une formidable épopée graphique éditée par Delcourt.
Une sélection de bandes dessinées proposée par Stéphanie Gallet.
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