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Le 14-Juillet et le mythe de la conquête des libertés

Le 14-Juillet et le mythe de la conquête des libertés

Un article rédigé par Frédéric Mounier, avec OR - RCF, le 10 juillet 2025 - Modifié le 14 juillet 2025
Les Racines du présentNos libertés d'hier à aujourd'hui, mythes ou réalités ?

14 juillet 1789 : le peuple français à la conquête de sa liberté ? Autour de la Prise de la Bastille, l'un des événements qui inaugurent la Révolution française, s'est forgé l'un des mythes qui perdurent dans la vie politique française depuis plus de deux siècles. Mais au fond l'enjeu a-t-il été de conquérir une liberté ou une légitimité ?

Henry Singleton, La prise de la Bastille ©wikimedia commonsHenry Singleton, La prise de la Bastille ©wikimedia commons

La conquête de la liberté résume-t-elle l’histoire de France ?

Liberté, égalité, fraternité : c’est à Robespierre, dont la pensée représente "le socle intellectuel de la Révolution", que l’on doit la devise républicaine. "Il est le premier à développer et au fond à inventer cette trinité républicaine", précise Emmanuel de Waresquiel, historien, spécialiste du XVIIIe siècle, auteur de l’essai "Il nous fallait des mythes ! La Révolution et ses imaginaires. De 1789 à nos jours" (éd. Tallandier, 2024).

Que la liberté ne puisse aller sans l’égalité, c’est une évidence, pour Laurent Joffrin, journaliste, écrivain, auteur de "La conquête de la liberté - De Mirabeau à Mitterrand" (éd. Tallandier, 2024). "Ma définition de la liberté, dit-il, est toute simple, c’est le pouvoir de choisir sa vie." Il cite l’exemple des ouvriers dans les filatures, quinze heures par jour arrimés à la machine... "La liberté sans l’égalité ce n’est pas la liberté, c’est la liberté pour quelques-uns", affirme Laurent Joffrin, non sans faire écho le discours de François Mitterrand prononcé le 20 juin 1989, dans la salle du Jeu de paume.

La liberté, "à l’origine, ça ne concernait que les propriétaires blancs - c’est un suffrage censitaire, rappelle Laurent Joffrin. Et puis on ne parlait pas de l’esclavage et des femmes qui n’étaient pas conviées à exercer leur liberté politique..." On peut, selon le journaliste, prendre pour grille de lecture des deux siècles précédents l’article un de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : "Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits." Pour Laurent Joffrin, "la liberté suppose l’expansion de cette liberté concrète progressivement à toutes sortes de groupes qui en étaient exclus. C’est l’histoire de France."

 

Une liberté imposée par la violence

Une liberté chèrement acquise, si on en croit la violence à l’œuvre durant la Révolution française. Elle fait d'ailleurs l’objet de débats aujourd'hui encore. D’un côté elle sert à dénoncer une république née dans le sang, de l’autre elle est défendue comme moyen pour imposer la liberté. Laurent Joffrin n’exclut pas le caractère "nécessaire" de la Terreur - ce qui était l’avis de nombreux révolutionnaires.

S’il décrit Robespierre dans son livre comme celui qui "a voulu imposer la liberté par la dictature", il déclare par ailleurs : "Quand le pays est envahi, oui il faut prendre des mesures extrêmes mais l’usage de ce type d’instrument doit être limité dans le temps et réglé, autrement ça s’échappe." Pour Laurent Joffrin, "c’est une des grandes contradictions de toute cette histoire, dès lors qu’on utilise des moyens violents, ils prennent une autonomie. La violence est un moyen mais une fois qu’on la déchaîne, elle échappe."

La guillotine, symbole de la Terreur, est-elle devenue l’instrument d’une liberté à gagner ? Emmanuel de Waresquiel remarque à quel point elle a "habité les imaginaires romantiques" du XIXe siècle – Stendhal, dans "Le Rouge et le Noir", Dumas, Hugo, Balzac, Anatole France, mais aussi les romans de Jules Janin ou encore "Sous la hache" d'Élémir Bourges… - et ce "au fur et à mesure que se développe le discours abolitionniste".

Liberté de la presse, liberté d’association, séparation de l’Église et de l’État… "tout ce sur quoi nous fonctionnons" aujourd’hui, résume Laurent Joffrin, a certes été pensé au cours de la période 1789-1799, période marquée par la violence. Mais "ça a été fait un siècle plus tard par des barbus ventripotents qui ne songeaient pas à tuer des gens". Voté "par des réformistes" au Parlement.

 

Les Racines du présentLa Révolution, aux racines de notre vie politique

Conquête de liberté ou de légitimité ?

La violence a été non pas un moteur mais "une conséquence" de la Révolution française, pour Emmanuel de Waresquiel. Il y a selon lui "deux moteurs à la Révolution et à la Terreur". D’abord "le complot caché" - "absolument omniprésent d’un bout à l’autre, il commence dès 1789 avec le complot aristocratique et se termine par les grandes lois de Prairial an 2 (juin 1794) par la notion d’ennemis de la République".

Autre moteur, apparu dès 1789 : "le conflit de légitimité". Il y a la "légitimité des urnes" célébrée lors du Serment du jeu de paume, Le 20 juin 1789, près du château de Versailles. Et qui donne "l’Assemblée nationale constituante, indivisible et permanente", résume Emmanuel de Waresquiel. Elle va s’affronter à une autre forme de légitimité née "autour de la notion de violence légitime du peuple". Et que représentent "les sans-culottes des 48 sections de la commune de Paris, qui marchent sur la Convection avec du canon pour obtenir des décrets plus radicaux".

L’affrontement de ces légitimités née au cours de la Révolution française marque encore la vie politique depuis plus de deux siècles. Sans doute le général de Gaulle a-t-il "essayé de résoudre avec le référendum de 62 sur le vote du président de la République au suffrage universel", suppose Emmanuel de Waresquiel. On retrouve cet affrontement "à travers toute notre histoire contemporaine au XIXe et au XXe siècles". Jusqu'au mouvement des Gilets jaunes.

 

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
Les Racines du présent
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