Kaddish pour un amour, de Karine Tuil
"Kaddish pour un amour" est un long poème, qui fait mémoire d'un amour défunt, sublime ce qui a été vécu et révèle la fragilité des sentiments.
De Karine Tuil, on connaît les romans, que ce soit Les choses humaines, prix interallié et Goncourt des lycéens 2019, et plus récemment La décision, en 2022, quand un juge doit décider de l’avenir d’un jeune soupçonné de terrorisme, et doit faire face à un imbroglio personnel. Le livre que je vous propose aujourd’hui n’a rien à voir, les lecteurs n’y trouveront pas une histoire haletante mais plutôt une longue prière pour un amour qui s’est éteint. Une forme poétique qui peut dérouter, qui permet aussi à l’auteur d’explorer les sentiments d’une femme aimée, qui ne l’est plus, qui exprime ses réactions parfois contradictoires, meurtrie, aimante, révoltée, libre et perdue…
Un chant spirituel
Le kaddish, c’est la prière juive du deuil, mais qui est aussi une sorte d’élan, de confiance, du rappel du passé partagé. En « chantant », j’ai envie de dire, un kaddish pour un amour, Karine Tuil entre dans ce rite qui fait mémoire et invoque plus grand que soi, plus grand que la perte. « Je parcours une terre humide de larmes / Je savais qu’il y aurait une fin / Tu disais : je t’aime pour l’éternité ». Rien n’est plus triste qu’un amour qui n’est plus, mais rien n’est plus précieux que le souvenir qu’il laisse.
Il y a bien sûr une dimension spirituelle, au sens large du mot, parce que le kaddish est un rite bien établi, parce que Karine Tuil fait discrètement le parallèle entre cette histoire d’amour et le peuple juif, par exemple : « Je t’a dit : Tu es ma terre promise / Partons ensemble / je recevrai / Ta loi ». On retrouve aussi dans ce long poème des accents du Cantique des cantiques : « Je t’ai cru / Je suis partie / Mais tu n’étais pas là / Quand je suis arrivée / De nuit / Depuis Jérusalem / Et à l’aube non plus / Je ne le t’ai pas trouvé / Je T’ai cherché / Dans le désert brûlant / Je T’ai appelé / Tu n’as pas répondu. » Peut-être aussi les résonances des psaumes, alors même que le texte est profondément humain, d’abord, comme la Bible après tout : « Je suis faire pour ce silence / Je peux vivre sans Toi / Il n’y a que le désert / Et les mots / Qui a besoin de plus pour vivre ? »
Tombeau pour un amour défunt
Une poésie écrite en vers libres, sans ponctuation : l’écriture poétique peut dérouter. Quand elle se nourrit aussi de la culture juive et du questionnement, il faut bien saisir que les contradictions du texte sont voulues, et reflètent peut-être même les ambivalences du sentiment amoureux. Karine Tuil écrit encore : « Nous ne pouvons pas être ensemble / nous ne pouvons pas être séparés », et les deux sont vrais… C’est un livre pétri de délicatesse, de sensualité, de chagrin et de force : « Je ne peux plus voir le visage de Celui qui m’aime / Sans pleurer / Les herbes amères j’ai mangé / de ta bouche. » Finalement, ce poème, ce kaddish, devient le tombeau de l’amour défunt pour le préserver, pour le sauver et des amoureux des survivants qui gardent la trace : « Inscris-nous dans le livre de la vie heureuse / Inscris-nous dans le livre de l’amour / Souviens-Toi que nous nous sommes aimés. »
« Kaddish pour un amour », de Karine Tuil, est publié chez Gallimard.
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