Sans doute vous souvenez-vous de son intervention à Assise. Lors du 25ème anniversaire de la rencontre interreligieuse en 2011n Julia Kristeva était la seule femme parmi les responsables religieux du monde entier. Invitée par le pape Benoît XVI, elle représentait les humanistes athées ou agnostiques. Linguiste, sémiologue, psychanalyste, romancière, féministe, cette intellectuelle reconnue comme l'une des plus influentes dans le monde, accepte de dévoiler des facettes de sa vie. Dans "Je me voyage" (éd. Fayard), elle se confie sur son enfance en Bulgarie, l'ébullition des années 70 à Paris, sa rencontre avec Philippe Sollers et le groupe Tel Quel... Et aussi sur son engagement pour la reconnaissance de la singularité des personnes handicapées.
"Je me voyage", le titre de ses mémoires est en quelque sorte sa devise. Julia Kristeva l'a inventée alors qu'elle était dans "l'état onirique" où sont les romanciers quand ils écrivent, raconte-t-elle. Dans ce long dialogue avec l'écrivain et psychologue Samuel Dock, elle dévoile en effet ce qu'est son "voyage intérieur".
Le terme est à comprendre au sens noble: "se déplacer, s'interroger, rencontrer autrui et inviter cet autrui à faire le déplacement vers l'autre". Le sens que lui donne la tradition chrétienne. Et que l'athée humaniste cultive - coûte que coûte, car elle a, dit-elle, "peur que cela se perde". "Moi je dis que les gens ne voyagent pas vraiment dans la globalisation." L'expérience intérieure, telle que Julia Kristeva la pratique, elle se fait en voyageant d'un pays à l'autre, d'une disciple scientifique à l'autre, d'une langue à l'autre.
Toujours saisir ce qui est intéressant, unique partout et chez tout le monde. Julia Kristeva cultive cette qualité primordiale, qui ne relève pas selon elle d'un optimisme mais "d'un [pessimisme] énergique". Julia Kristeva a connu dans les années 70 à Paris les intellectuels du groupe Tel Quel - Roland Barthes, Michel Foucault, Gérard Genette, Philippe Sollers, qui deviendra son mari. Avec finesse, elle décrit ce qu'il y avait de bon dans le mouvement mai 68, laissant de côté "l'anarchisme extrêmisme", elle nous réconcilie avec un courant de pensée qui n'a pas bonne presse aujourd'hui.
De la même façon, la féministe qu'elle est, bien plus populaire d'ailleurs aux Etats-Unis qu'en France, fait le tri avec soin dans ce qu'il y a de bon dans les divers courants féministes. "Je ne pense pas qu'il y a le féminisme mais des contributions singulières à la liberté humaine par des femmes, il faut les prendre une à une." Cultivant sans cesse sa singularité de femme et d'intellectuelle, Julia Kristeva a le génie de la liberté. "La liberté, et c'est ça que les traditions grecque juive et chrétienne de l'Europe nous ont appris, c'est que la liberté se conjugue au singulier."
Parce que chaque visage est unique, le podcast Visages accueille des hommes et des femmes d'une grande diversité : philosophes, aventuriers, personnes engagées dans le développement et dans l'action humanitaire, artistes, religieux, entrepreneurs ... Tous partagent au moins un point commun : l'ouverture et le respect de l'autre dans sa différence. Thierry Lyonnet leur donne la parole pour une rencontre en profondeur.
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