"Je vous en supplie, laissez-moi revoir maman une dernière fois"
En 2020 et 2021 des hommes et femmes sont morts isolés de leurs proches pour des raisons sanitaires. C’est un scandale que dénonce Hilaire Bodin et le collectif "Tenir ta main"
Hilaire, l’enfermement des malades et des vieux dans les hôpitaux et EHPAD pendant des mois vous a scandalisé, sachant en plus que des milliers de personnes sont mortes dans la solitude la plus totale. C’est inhumain me disiez-vous, mais des solutions sembleraient se profiler à l’Horizon.
Auberi, « je ne vous pardonnerais pas » est un texte publié en Avril 2020 par Matthieu Yon au sujet de ce qu’a vécu sa compagne :
Julie a pris la voiture pour aller voir sa mère mourante afin d’être auprès d’elle dans ce moment décisif. Mais le médecin lui a dit qu’elle ne pourrait pas la voir, qu’elle pourrait seulement voir son corps avant qu’elle ne soit mise sans aucune toilette ni soin dans un sac mortuaire. Elle a donc attendu dans la chambre anonyme d’un hôtel de bord de route. Elle a regardé la télé, confinée dans son deuil impossible à faire. Elle est descendue commander un repas, un verre de vin. Elle a attendu pendant que sa mère attendait elle aussi sur son lit d’hôpital. Et puis elle a reçu un coup de fil. Sa mère était morte. Elle pouvait venir voir le corps. Ça lui a été présenté comme une fleur, un privilège. Elle est donc allée voir le corps de sa mère encore tiède. Elle a dû mettre des gants, un masque. Elle a pu lui dire au revoir, commencer à réaliser ce que notre monde voulait lui voler : Le temps d’aimer sa mère.
Elle a appelé plusieurs pompes funèbres. Elle les a presque toutes appelées. Elles ont toutes eu cette même réponse inaudible, impossible, inhumaine. « Vous ne pourrez pas revoir le corps de votre mère, vous ne pourrez pas suivre le cercueil au funérarium, vous ne pourrez pas assister à la crémation, vous ne pourrez pas célébrer les obsèques ». Vous pourrez venir chercher l’urne dans deux semaines. Il n’est plus question ici de contagiosité. Il n’est plus question ici de coronavirus. On peut pousser son caddy au supermarché, mais on ne peut pas accompagner le cercueil de sa mère. On peut faire le plein d’essence, on peut prendre l’autoroute, le train, où même l’avion, mais on ne peut pas dire adieu à sa mère, on ne peut pas assister à sa crémation, on ne peut pas dire lui dire un dernier poème, devant quelques proches réunis. Ça n’a rien à voir avec le coronavirus. Ça vient de nous, de notre inhumanité naissante.
L’inhumanité, je ne vois pas d’autres mots pour qualifier ces faits. Mais pourquoi, ? Hilaire auriez-vous quelques explications ?
Dans la chronique « Excusez-moi de mourir, je ne voulais pas vous déranger » diffusée le 27 Octobre je soulignais que notre société tend à oublier et effacer la mort. Quand nos gouvernants décrètent qu’il était plus important d’aller au supermarché qu’accompagner nos mourants et enterrer nos morts, ils illustrent magistralement cette scandaleuse dérive sociétale. Matthieu conclu son cri de colère par : « Vous êtes des chiens qui piétinez nos âmes sur l’asphalte du progrès. Vous êtes les fantômes d’un monde mortifère détruisant nos songes. Vous avez le presque le monopole de la mort, je ne vous laisserais pas celui de la vie ».
Que faire pour qu’on nous interdise plus de voir nos malades, nos parents en EHPAD ou à l’hôpital.
« Tenir ta main » est le joli nom d’un collectif animé par deux orphelins du COVID, Stéphanie Bataille et Laurent Frémont. Fort de ses 50 000 soutiens, il mène une offensive d’envergure pour faire changer la loi. Je vous lis l’essentiel de leur manifeste :
Depuis plus d'un an, la pandémie a entraîné de graves reculs éthiques et anthropologiques Des patients sont maintenus dans un isolement total, sans que le moindre contact avec leurs proches ne soit possible, des mourants partent seuls, sans personne pour les accompagner dans les derniers moments de leur vie ;leurs familles vivent des souffrances et des traumatismes indicibles qui laisseront des traces durables ; des personnes âgées se laissent mourir de chagrin et de solitude, du fait de la rupture brutale des liens affectifs qui leur est imposée, les rites funéraires ne sont pas respectés et les défunts sont traités d’une manière qui déshonore notre société.
Face à ces graves dérives, nous ne pouvons pas rester inactifs. La passivité nous rendrait complices d’un système qui glisse sans bruit vers l'obscurantisme. Voilà pourquoi nous réclamons l’inscription dans la loi d’un droit de visite aux patients dans tous les établissements de santé, à tout moment de l’hospitalisation et quelles que soient les circonstances sanitaires. Plus largement, nous souhaitons replacer l’humain au cœur de notre système de santé. Il y a urgence. Chaque visite interdite, chaque décès dans une solitude forcée, chaque mise en bière en l’absence des proches sont autant de douleurs personnelles inconsolables que de reculs de civilisation déshonorant notre société. Nous le devons aux vivants, et aussi comme un hommage à nos morts.
Les élus de la république ont-ils réagis aux pressions du collectif « Tenir ta main ? »
Oui, Auberi, le 12 Octobre 2021 le sénat a adopté à l’unanimité en 1ére lecture une proposition de loi visant à garantir un droit de visite inconditionnel pour les résidents d’EHPAD, de foyers pour personnes handicapées ou les patients soignés dans les établissements de santé. C’est une belle victoire pour le collectif « Tenir ta main ». Le sénateur Bruno Retailleau, concepteur et défenseur de la proposition de loi précise « il s’agit de dresser une sorte de rempart contre une froide mécanique bureaucratique. »
Dans la thématique « Fier et joyeux d’être vieux » je mène un combat pour le respect de notre dignité à nous les vieux. La connaissance des situations tragiques en fait partie. Enfin, je dis bravo au collectif « Tenir ta main » car nous sommes tous concernés par la désacralisation de la mort et affectés par la rupture des liens affectifs imposés pour des raisons sanitaires
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