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Éric-Emmanuel Schmitt : "J'aurais voulu vivre au XVIIIe siècle !"

Éric-Emmanuel Schmitt : "J'aurais voulu vivre au XVIIIe siècle !"

Un article rédigé par Vincent Belotti - RCF, le 23 novembre 2025 - Modifié le 29 novembre 2025
Il était une joieIl était une joie avec le romancier Eric- Emmanuel Schmitt

"Oscar et la Dame rose", "Monsieur Ibrahim et les Fleurs du Coran", "l'Evangile selon Pilate" ou encore "La Part de l'autre", autant de titres qui ont popularisé Éric-Emmanuel Schmitt : "J'aurais voulu vivre au XVIIIe siècle !", l'un des auteurs les plus lus en France et dans le monde. Depuis 2021, ce féru d'histoires s'est lancé dans "La traversée des temps", une saga retraçant l'origine de l'Humanité depuis le néolithique. Le cinquième tome "Les deux Royaumes" vient de sortir aux éditions Albin Michel. Confidences d'un tout nouveau papa qui se serait bien vu vivre au XVIIIe siècle !

©RCF Lyon ©RCF Lyon

Romancier, mais aussi auteur de théâtre, réalisateur, comédien à l’occasion, membre de l’académie Goncourt, prof de philo, directeur de théâtre et directeur artistique aussi du festival de correspondance de Grignan, dans la Drôme. Autant de facettes qui composent Eric Emmanuel Schmitt depuis une trentaine d’années. Laquelle préfère-t-il ? "Moi je me définis comme un conteur." confie l'intéressé, "quelqu’un qui aime dire "il était une fois" et emmener les autres dans une histoire, des émotions, une réflexion que permet le chemin qu’on fait ensemble."

Un chemin qui aujourd’hui traverse les millénaires. Puisque en 2021, l’écrivain s’est lancé dans le pari fou : retracer l’aventure de l’humanité, depuis le néolithique jusqu’à notre époque. Le 5e tome de cette "Traversée des temps" vient de paraitre, abordant l’Empire romain et la naissance du christianisme.  L’occasion de percer les petits secrets de bonheur d’un tout nouveau papa, à 65 ans.

Questions Bonheur

Quand vous vous levez le matin, est-ce que c'est tout de suite de bonne humeur, genre "Lumière du bonheur " ou au contraire c'est "Soleil sombre", allusion évidemment à deux titres de votre saga ? 

Ah non, je me réveille de bonne humeur. 

Et qu'est-ce qui vous met de bonne humeur alors ? 

Eh bien, je ne sais pas, le fait de voir le jour, d'être reposé …Et puis j'ai un rite, c'est que ma chienne se jette sur moi ! Et on a au moins dix minutes de câlins au pied du lit, comme ça, avant que la journée commence. Donc c'est d'une douceur incroyable. Elle est toute à la joie de commencer une journée. Et du coup, moi aussi, par contagion. Mais par contre, il ne faut pas me poser de questions intelligentes avant une heure. 

Le temps que le moteur "chauffe "? 

Non, mais je dis souvent à ma famille : c'est parce qu'il y a tellement de neurones qu'il faut beaucoup de temps pour réveiller le circuit ! Ce n'est pas de de la prétention mais c'est pour avoir la paix ! Et effectivement, il n’y a qu'une fois que je me rends compte que les chaînes info se répètent que j’estime que je suis réveillé. C'est pour vous dire que ça prend du temps ! (sourires)

Quand vous avez un petit coup de cafard, qu'est-ce que vous faites pour vous pour monter le moral ? Est-ce que vous écoutez de la musique, du Mozart ou du Beethoven ? Vous regardez vos premiers Molières obtenus en 1994 pour "Le visiteur" ou tout simplement, vous allez vous promener avec vos chiens ? 

Je songe aux gens qui m’ont aimé et propulsé. Et je retrouve le dynamisme de ce qu'ils m'ont apporté. Je pense bien évidemment à mes parents. Je pense à Edwige Feuillère, (grande comédienne de théâtre et de cinéma des années 30 à 50 ndlr) qui m'avait fait rentrer dans le monde du théâtre. Je pense parfois à Bernard Pivot qui a beaucoup fait pour moi, en tant que journaliste de "Bouillon de Culture" et ensuite pour me faire venir au Goncourt. Je pense à tous ces gens qui m'ont manifesté leur confiance, qui pensaient du bien de moi. Et donc, leurs souvenirs me repropulsent et puis, bien sûr, je me promène beaucoup dans la nature avec mes chiens, c'est aussi une chose importante. 

Est-ce que vous ne regardez pas non plus les photos de votre petite fille, puisqu’on a appris tout récemment que vous étiez devenu papa à 65 ans ? 

Alors c'est une drogue dure ! C'est-à-dire que c'est à la fois de l'amour parce que je suis prêt à tout pour elle. Et c'est la passion parce qu'il suffit que je regarde une photo pour avoir une bouffée d'hormones, une bouffée de bonheur... C’est quelque chose d’extraordinaire. Et en même temps, c'est aussi une dépendance, une fragilité extrême. Je veux dire …Elle avait mal aux dents, il y a quelques jours, j'ai passé une journée épouvantable ! 

Vous allez vivre le lot de beaucoup de parents … !

Voilà ! Mais en même temps, c'est la première fois dans ma vie où j'ai le sentiment d'être à ma place. Quand je suis avec elle, je suis au centre du monde. Je dois être là. Et c'est quelque chose de puissant. C'est cosmique presque. 

Eric Emmanuel Schmitt, est-ce qu'il y a un endroit qui vous fait du bien, qui vous apaise ? 

Je suis apaisé dès que je suis dans les bois, dans la forêt. J'y suis tous les jours. C'est la vie. C'est la lumière, c'est le silence et la présence du vivant. Je ne suis pas apaisé dans du béton. Tandis que je suis apaisé au milieu des troncs des écorces, des ramures et des feuilles. De la terre qui vit, qui change d'odeur. Je ne peux pas vivre sans ce rapport très fort à la nature. 

Est-ce qu'il y a une époque où vous auriez aimé vivre ? Parce qu’avec "La traversée des Temps", on part du néolithique jusqu’à l'Antiquité romaine ... avant d’aborder d’autres périodes historiques jusqu’à aujourd’hui …

Oui, je crois que c’est le 18e siècle. Parce que d'abord, c'est une époque optimiste. C'est une époque allègre. C'est l'époque des Lumières. On veut partager le savoir.

Vous auriez aimé rencontrer Voltaire ? 

Voltaire, mais surtout Diderot, qui est mon auteur préféré. Mozart aussi ! Parce que si c'est une époque où on connaît les duretés de la vie, on célèbre aussi  les joies de l'existence. C'est une époque sensuelle aussi, c'est une époque raffinée. C'est une explosion des arts. C'est une époque antidépressive. Il y a une joie de penser, de découvrir, de défricher. Et puis, c'est une époque où on invente l'encyclopédie.... Un savoir, où il est aussi important de savoir comment on fait du pain que de connaître la métaphysique de Platon ou le système d'Aristote. Pour moi, il n'y a pas de hiérarchie entre les savoirs. Et ça, c'est le XVIIIe siècle.

Et puis, c'est une époque où on mettait encore des perruques poudrées …Ca aurait pu vous convenir …,? 

Non, pas forcément. J'assume totalement ma calvitie, docteur ! (sourires) 

Dernière question, Eric Emmanuel Schmitt. Vous connaissez le dicton "Pour vivre heureux, vivons cachés", mais pour vous, pour vivre heureux, il faudrait vivre comment ? Donnez-nous votre petit cours de bonheur, comme dans "Odette Tout le Monde" .. 

Je dirais qu’il faut pratiquer l'étonnement. Il faut lutter contre l'usure de vivre, l'usure de penser qu'on a déjà vécu quelque chose, l'usure d’avoir le sentiment de la répétition, du déjà-vu. C'est totalement faux. La même eau ne passe jamais sous le pont. Tout est nouveau. Moi, il m'arrive qu'on me pose une question pour la centième fois. Pourquoi ? Parce que c’est une bonne question. Et où est-ce que je trouve l'énergie de répondre ? En me disant que la personne qui me l'a posé, elle le fait pour la première fois. Donc à elle, je réponds pour la première fois. Voilà, il y a plein de moyens de lutter contre l'usure de vivre. C’est vivre à bras ouverts, être disponible à ce que la vie nous apporte et essayer d'avoir le moins de préjugés possibles

Dans une interview donnée à Psychologies Magazine en 2021, vous aviez déclaré être un "optimiste par pessimisme". C’est-à-dire ?  

Je pense que, quand il y a des progrès, le moteur du progrès n'est pas la volonté du mieux. Mais la volonté d’éviter le pire. C'est une chose qu’a soutenu de façon très brillante un philosophe du 18e siècle, Emmanuel Kant, qui disait que finalement l'humanité progresse parce que le mal devient de plus en plus puissant. Les guerres deviennent de plus en plus ravageuses à cause de l’avancées des techniques et du fait qu’elles se mondialisent. 

Et donc, il faut trouver des solutions pour en sortir ? 

 Voilà ! En plein 18ème siècle, Kant nous dit : "Un jour, il y aura une société des Nations un organisme international pour essayer de réguler les guerres. Un jour, il y aura un observatoire mondial de la santé." Donc le moteur du progrès, c’est la peur du pire et ce n’est pas le désir du bien …

 


"Les deux Royaumes" d'Eric Emmanuel Schmitt est paru aux éditions Albin Michel

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Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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