“Entre leurs mains” ou le drame des blanchisseries de la Madeleine
En 2013, le rapport McAleese, du sénateur qui a coordonné l’enquête, a levé le voile sur les blanchisseries de la Madeleine. Ces blanchisseries, actives de 1922 à 1996 en Irlande, étaient liées à des couvents où étaient envoyées de nombreuses jeunes filles contre leur gré. Le nouveau roman jeunesse d’Annelise Heurtier revient sur ce drame.
Couverture de "Entre leurs mains" d'Annelise HeurtierDans “Entre leurs mains”, Annelise Heurtier raconte l’histoire de Finnegan, un jeune adolescent qui découvre l’histoire des Madeleines. Ces jeunes filles sont celles qui ont été envoyées par leurs parents dans des couvents pour cacher une grossesse, à la suite d’un viol ou simplement parce qu’elles étaient trop belles pour leur propre bien.
Une fête mystique
L’histoire démarre en 2016 quand les jeunes du village de Killsborough décident de relancer la fête de Beltane. Cette fête celtique est célébrée le 1er mai et est l’une des quatre grandes fêtes celtiques. Si Annelise Heurtier a décidé de placer son histoire ce jour-là, c’est à cause de la signification de cette fête. En effet, cette fête célèbre le retour du printemps, mais symbolise aussi la fertilité et l’abondance.
Dans l’histoire, Neve, la petite amie de Finnegan, décide donc que c’est le bon moment pour passer à la vitesse supérieure dans leur relation. Tout est prévu, Neve a pris le temps de leur installer un petit nid douillet dans les bois, à l’abri des regards. Mais les deux tourtereaux se retrouvent séparés et, en voulant retourner vers la ville, Finnegan se perd et se retrouve chez Deirdre, une dame âgée qui vit en retrait du village.
Un récit prenant
Lorsque Finnegan arrive chez Deirdre, il comprend que c’est à cause d’elle qu’il s’est retrouvé séparé de Neve et est bien décidé à lui demander des explications. Cependant, ce ne sont pas les explications auxquelles il s’attend.
Il semble important de préciser ici que le nom de Deirdre n’est pas choisi au hasard. Ce prénom typiquement irlandais signifie “celle qui cause du chagrin” ou “la femme aux douleurs”. Cette dernière signification est intimement liée à l’histoire que Finnegan va découvrir. Celle des filles de la Madeleine.
Un récit qui part de la vie compliquée, financièrement parlant, de Deirdre dans sa jeunesse. Et de la situation qui l’amènera à être conduite dans un couvent lorsqu’on découvre qu’elle est enceinte à seize ans.
La vraie vie des Madeleines
Ce qu’Annelise Heurtier nous raconte à travers les mots de Deirdre, c’est l’histoire de centaines de jeunes filles. C’est une histoire possible parmi de nombreuses autres vies gâchées pour sauver les apparences. Lorsque, au début des années 2000, l’autrice sait qu’elle écrira dessus, “mais je voulais trouver un scénario qui apporte un peu de lumière”, confie-t-elle.
“À l’origine, ces couvents avaient pour but de remettre dans le droit chemin des prostituées qui voulaient se repentir,” explique Annelise Heurtier. “Le nom de Madeleine vient de Marie-Madeleine qui a lavé les pieds de Jésus avec ses cheveux.”
Une fois au couvent, à travailler dans les blanchisseries attenantes, les jeunes filles avaient peu de chances de pouvoir sortir et de refaire leur vie. “Même si elles refaisaient leur vie, leur nouvelle famille n’était pas au courant de leur passé. Avoir été une Madeleine a toujours été connoté négativement,” commente Annelise Heurtier.
Les journées se passaient donc dans le silence, hormis le bruit des machines de blanchisserie. Les jeunes filles travaillaient dans des conditions dégradantes pendant de longues heures. Les quelques-unes qui avaient l’occasion de rentrer chez elles pour les fêtes devaient porter une perruque pour cacher leur crâne rasé. “Les familles savaient que la vie dans les blanchisseries était difficile, mais pas à quel point.”
Nombreuses sont les jeunes filles qui ont donné la vie dans ces couvents sans avoir la chance de connaître leur enfant donné à l’adoption. Nombreuses aussi sont celles qui y ont trouvé la mort, que ce soit à cause des coups, de la sous-alimentation, des produits utilisés au quotidien ou simplement parce qu’elles n’en pouvaient plus.
Une réalité qui a marqué tout un pays
Le dernier couvent des Magdalene, à Dublin, a été fermé en 1996. Depuis, quelques langues se sont déliées et des enquêtes ont été menées pour mettre au jour la vérité sur ces blanchisseries. C’est dans cette décennie (1990-2000) qu'ont été découvertes des fosses communes dans plusieurs des anciens couvents.
En 2013, après des années de pression et d’enquêtes, le gouvernement irlandais a présenté des excuses officielles et a mis en place un programme de compensation pour les anciennes résidentes. Cette reconnaissance a permis de faire un premier pas vers la justice, bien que le traumatisme causé par ces institutions reste profondément enraciné dans la mémoire collective irlandaise.
Un livre pour faire changer les mentalités
“Le point de vue de Finnegan est celui d’un jeune homme conditionné par un système encourageant la domination masculine, qu’il n’a jamais interrogé. Il s’agit là d’une posture de personnage que l’autrice a à cœur de questionner.” C’est avec ces mots qu’Annelise Heurtier exprime sa volonté de questionner notre société.
Son espoir est que des jeunes garçons choisissent de lire son livre et puissent par la suite questionner leur comportement. Car “aucune maman n’a élevé son enfant pour en faire un agresseur. Ce n’est en tout cas pas l’optique dans laquelle j’élève mon fils,” nous explique-t-elle.


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