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Élie Semoun sur l'humour juif : « Il faut se moquer de tout, de tout le monde, avec respect, c'est indispensable »

Élie Semoun sur l'humour juif : « Il faut se moquer de tout, de tout le monde, avec respect, c'est indispensable »

Un article rédigé par la rédaction RCF Lyon - le 16 mai 2025 - Modifié le 16 mai 2025
L'invité de M Comme Midi · RCF LyonÉlie Semoun : « Il faut se moquer de tout, c'est indispensable : des juifs comme de tout le monde, avec respect »

Il a marqué des générations par son humour noir et ses personnages excentriques : jeudi 15 mai, Élie Semoun était l'invité de la synagogue libérale de Villeurbanne à l'occasion d'une conférence-spectacle à Tassin-la-Demi-Lune, en métropole de Lyon, aux côtés de Lionel Abelanski : un échange et une réflexion sur l'évolution de l'humour juif dans le contexte actuel du « politiquement correct ». Rire de tout ou pas, Dieudonné, réseaux sociaux : entretien avec un humoriste libre.

« La montée du populisme correspond aussi à la montée des réseaux sociaux » : Élie Semoun de passage à Lyon - © RCF Lyon (Grégoire Dubois)« La montée du populisme correspond aussi à la montée des réseaux sociaux » : Élie Semoun de passage à Lyon - © RCF Lyon (Grégoire Dubois)

En 2025, peut-on rire de tout ? L'humour juif est-il encore drôle ? Dans un monde où les frontières de l'humour sont constamment redéfinies par les normes du politiquement correct, la synagogue libérale Keren Or de Villeurbanne proposait jeudi 16 mai 2025 une conférence-spectacle pour discuter de la place de l'humour juif de nos jours. Une soirée qui a donné la parole à ceux qui font l'humour, les humoristes et comédiens Élie Semoun et Lionel Abelanski.

« Aujourd'hui, le seul grand espace de liberté, c'est la scène »

RCF Lyon : Élie Semoun, on vous connaît pour votre humour noir, pour vos personnages emblématiques qui abordent d'ailleurs souvent la question des religions. Qu'est-ce que l'humour juif ?

Élie Semoun : C'est d'abord un humour d'auto-dérision, ça c'est indispensable, parce que quand on décide qu'on fait de l'humour, si on ne sait pas se moquer de soi-même et si on n'accepte pas que les autres se moquent de vous-mêmes, alors là c'est mort. Un humoriste qui se prend au sérieux, c'est atroce, c'est ce que je suis en train de faire, à cause de vous (rires). Mais oui, l'humour juif, c'est surtout un humour d'auto-dérision, c'est surtout ça.

RCF Lyon : Ça veut dire que l'humour juif, c'est seulement des juifs sur les juifs ?

ES : Non, pas du tout. J'en suis la preuve vivante. Je me moque dans mon prochain spectacle et dans mes anciens spectacles, et même quand j'étais avec Dieudonné, on se moquait de tout le monde. Des noirs, des Arabes, des juifs, des homos, des cathos. Quand je faisais les "Petites Annonces" avec Franck Dubosc, tout le monde en prenait pour son grade. Mais maintenant, c'est en train de se réduire : je crois que le seul grand espace de liberté, c'est la scène.

Les réseaux sociaux, ce n'est pas un espace de liberté ; la télé, les médias, ce ne sont pas des espaces de liberté.

J'ai un sketch sur un handicapé moteur qui parle comme ça (il mime le stéréotype d'une personne handicapée) et qui a une béquille : si je m'amuse à le mettre sur mes réseaux, je vais forcément avoir un crétin qui va prendre ça au premier degré et qui va être choqué. C'est malheureux.

RCF Lyon : Dès les débuts de votre duo avec Dieudonné MBala MBala, qui a été depuis été condamné à de nombreuses reprises notamment notamment pour injures raciales, vous avez toujours joué, vous, de votre judéité. C'est quelque chose qui a toujours été au cœur de vos personnages : pourquoi en parler alors que d'autres laissent leur situation personnelle de côté ?

ES : Ah oui, toujours. J'imagine qu'un breton catholique ou un breton protestant, il n'en parle pas sur scène parce que tout le monde s'en fiche. Les juifs sont un peu plus nombreux que les bretons, peut-être (rires). J'en parle parce que c'est une spécificité, on va dire, qui prête à rire. Moi, pour les gens qui ne me connaissent pas, je suis grand, noir et je suis Franco-Camerounais, et Dieudonné, lui, était petit et juif (rires) : quand j'étais avec Dieudonné, on s'amusait de ces différences.

RCF Lyon : Vous êtes des amis d'enfance, tous les deux.

ES : Bien sûr, on est encore copains. Et donc, c'est rigolo de jouer au petit juif et au gros noir, mais même si moi je ne suis pas croyant, par exemple : donc pour moi, c'était juste une différence comme un moyen de faire rire, c'est tout. Si j'avais été Chinois, ça aurait été la même chose.

Rire de tout et tout le monde : « J'ose espérer que c'est encore possible »

RCF Lyon : Pourquoi c'est un sujet qui vous a paru nécessaire d'aborder aujourd'hui ?

ES : C'est surtout en ce moment qu'il faut en parler. Parce que justement, en ce moment où il y a tellement de tensions entre les communautés, où on se communautarise, par exemple sur le conflit à Gaza, il faut absolument être dans un camp ou dans un autre, c'est complètement fou, il faut prendre parti. Donc c'est surtout en ce moment qu'il faut en parler, pour détendre l'atmosphère.

RCF Lyon : En 1992, vous sortiez le célébrissime "Cohen et Bokassa" avec Dieudonné, un sketch qui joue sur tous les stéréotypes de racisme et d'antisémitisme qu'on peut connaître : un sketch comme ça, aujourd'hui, dans un climat où l'antisémitisme et le racisme sont exacerbés, ce serait possible de le faire aujourd'hui ?

ES : Encore une fois oui, sur scène, bien sûr. Je me rappelle qu'on avait l'affiche de notre spectacle avec Dieudonné, c'était moi en nazi, en SS, et lui en Ku Klux Klan, et on se serrait la main avec un grand sourire. Donc, moi, j'ose espérer que c'est encore possible : mais une fois de plus, pas sur les réseaux sociaux.

J'ai remarqué une chose, c'est que la montée du populisme correspond aussi à la montée des réseaux sociaux. Donc, ça veut dire quelque chose : ça veut dire qu'on a donné la parole à tous les crétins du monde, et ces crétins-là pourraient nous embêter avec une affiche pareille ou avec un sketch pareil, mais ils auraient tort.

RCF Lyon : Dans la culture juive, la fête compte énormément, et avec la fête, la gastronomie, le plaisir et l'humour. Quand vous pensez à l'humour juif dans la culture, qu'est-ce qui vous vient en tête ?

ES : En exemple d'humour juif, je pense tout de suite à Woody Allen : c'est marrant parce que pour moi, il incarne l'humour juif. C'est-à-dire un humour torturé, de quelqu'un de très angoissé, qui a besoin de se raccrocher à la planche de secours qu'est l'humour pour s'en sortir dans la vie. Parce qu'il y a trop d'angoisse : il y a la mort, il y a plein de trucs, donc oui, c'est un exutoire, c'est indispensable. Et pour moi, il représente complètement ça.
Vraiment. Il y en a plein d'autres, bien sûr, mais lui en tout cas c'est le cas.

L'humour avec respect : « Il faut se moquer de tout, c'est indispensable »

RCF Lyon : Quand on pense à l'histoire juive, les images de la Shoah nous viennent évidemment en tête. Certains humoristes dont vous faites partie arrivent à faire des blagues là-dessus, je pense par exemple au sketch de la maison Périglioni. Vous avez expliqué à Thierry Ardisson il y a quelques années que vous aviez déjà été obligé de vous expliquer auprès de la communauté juive : comment cet humour-là est-il perçu ?

ES : Mais il y a des idiots partout, même chez les juifs, étonnamment, bien que nous soyons le peuple élu, c'est très étonnant (rires). Je me rappelle d'un oncle, tonton Daniel, qui n'appréciait pas du tout que je me moque de ça quand j'étais avec Dieudonné, et il me conseillait de le quitter, parce qu'il prenait ça au premier degré. Et prendre les choses au premier degré, c'est la pire des choses.

C'est bien le mal de notre société actuelle, entre autres : c'est qu'on prend tout au premier degré, c'est terrible. Il y a des gens qui s'érigent dans de faux combats qui ne servent à rien... Ça les fait exister, surtout, mais c'est tout, sinon ça ne sert à rien.

Il faut se moquer de tout, c'est indispensable, vraiment indispensable : des juifs comme de tout le monde, avec respect. C'est ça le problème qu'il y a eu avec "Dieudo", c'est qu'il y avait un soupçon dans ce qu'il faisait : mais sinon, c'est très très drôle ce qu'il fait. Mais il y a un soupçon de racisme, donc dès qu'il y en a un, c'est terrible.

Israël/Palestine : « Les juifs de France ne sont pas responsables de la politique de Netanyahou »

RCF Lyon : Quel est votre regard sur le climat actuel français depuis les attaques terroristes du Hamas du 7-Octobre et la répression d'Israël sur la Bande de Gaza qui a suivi ?

ES : Les juifs de France ne sont pas responsables de la politique de Netanyahou. On n'est pas responsables. Donc il faut le dire aux gens qui sont bêtes (il y en a un paquet) et qui pensent qu'on est responsables de ça, et qui trouvent que ça pourrait faire changer les choses de taper un rabbin dans la rue ou d'agresser des enfants juifs. Enfin, on n'est pas responsables de ce qui se passe là-bas, c'est fou !

RCF Lyon : Vous témoignez souvent de votre inquiétude pour l'avenir, d'autant plus que vous attendez votre second enfant. Vous aviez reçu des menaces graves après avoir insulté des étudiants pro-palestiniens. Quel message vous aimeriez transmettre pour l'avenir ?

ES : Un peu de détente. Mettez un peu d'eau dans votre vin, mettez un peu de bulles de champagne dans vos propos, essayez d'être moins simplificateurs, d'être moins caricaturaux. Voilà, c'est ça que j'ai envie de dire. Soyez ouverts, venez discuter avec nous, et vous verrez, les choses iront mieux. On voudrait résoudre des problèmes compliqués avec des idées simples, c'est impossible. C'est fou.

Mais de rire ensemble, ça c'est très précieux !

L'invité de M Comme Midi · RCF Lyon
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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