Cécile Juan – "L’air mouillé" ou comment filmer l'absence

Le pitch

Tiphaine Véron a 36 ans. L’été 2018, elle part au Japon, un voyage dont elle rêve et qu’elle prépare depuis longtemps. Première étape de ce voyage : la ville de Nikko, dans les montagnes à 150 kilomètres au nord de Tokyo. Le 29 juillet, après avoir pris son petit déjeuner à l’hôtel, elle disparaît sans laisser de trace. Ses affaires sont restées dans sa chambre. Où est-elle ?

Partir, revenir, repartir

En l’absence de réponse, sa famille décide rapidement de prendre les devants et de mener elle-même l’enquête, dans ce pays si différent où on ne cherche pas vraiment les disparus. Pour ne rien arranger, le covid met le monde à l’arrêt. À l’automne 2022, les frontières japonaises ouvrent à nouveau et Damien, le frère de Tiphaine, ne pense qu’à une chose : repartir. C’est à cette occasion que Cécile Juan, amie d’enfance de Tiphaine, l’accompagne et le suit dans ses démarches. On assiste à plusieurs moments d’une enquête éprouvante pour retrouver des traces inexploitées que Tiphaine aurait pu laisser çà ou là.

Filmer l’absence

C’est avec sensibilité et précision que la réalisatrice Cécile Juan filme l’absence de son amie et la quête obstinée du frère et de la soeur de cette dernière pour la retrouver. L’appartement qu’on vide au bout d’un an, les paysages urbains et sans charme du Japon, les maisons abandonnées dans lesquelles des médiums s’aventurent ; tous ces lieux dont la disparue est absente sont montrés tandis que sa présence est sans cesse palpable, comme en superposition des images. Aussi absente que présente dans le film comme dans l'esprit de ses proches, Tiphaine Véron est dans l’air, imprégnant cette atmosphère moite. L'air est si humide qu’il en devient « mouillé » comme le signale le titre de ce film à voir de toute urgence.  

Faire son deuil

Pour la réalisatrice, il a surtout été question de capter différents instants d’un deuil à la fois douloureux et impossible : « Le film s’inscrit dans un moment où l’urgence n’est plus la même. Au fond de nous, même si c’est douloureux, on sait qu’il y a de grandes probabilités qu’on ne retrouve pas Tiphaine vivante. Pourtant, on n’est pas non plus en deuil. Tant que le mystère demeure, pour moi Tiphaine n’est ni morte, ni dans la vie ». Et c’est de cet entre-deux terrible qu’avec affection et sensibilité, ce film rare et essentiel témoigne, nous émeut et nous terrifie.

Julien Bal