Bernard Werber : "Pour vivre heureux, il faudrait vivre mille ans !"

Une jeune informaticienne qui voit son compagnon, tué par la branche d’un chêne millénaire. S’agit-il d’un accident ou est-ce l’arbre lui-même qui a sciemment commis ce meurtre ? Et si oui, pourquoi ? C’est le point de départ de "La Voix de l'arbre". Un thriller "végétal", tiré d’une nouvelle écrite en 2002 où un arbre était témoin d’un meurtre. "Je me suis dit, je vais inverser le système." explique le romancier. "L’arbre va être l’assassin. Mais on va découvrir en fait que c’est de la légitime défense et c’était aussi faire prendre conscience que les arbres peuvent avoir une forme de conscience et d’intelligence. Ce ne sont pas que de la matière première pour faire des meubles !"

Arbres, mais aussi abeilles, dauphins, chats, rats et bien sûr les fameuses "fourmis", qui l’ont révélé en 1991. Autant de sujets d’un univers fantastique où se mêlent aventure, sciences, philosophie et questionnement sur la vie après la mort, comme en témoignent les cycles des Anges et des Dieux. "J’essaye d’éveiller la curiosité scientifique et la curiosité spirituelle alternativement." confie celui qu’on a qualifié de Jules Verne moderne. "Je suis un des rares privilégiés qui peut dire qu’il vit de sa passion. Et ma passion, c’est d’écrire et découvrir le monde. Et si je peux la faire partager à mes lecteurs, que ce soit les fourmis, les anges ou les forêts, tout va bien !"

Questions bonheur

Bernard Werber, dans quel état d’esprit êtes-vous le matin ? Bonne ou mauvaise humeur ? 

Alors c'est simple : la première phrase que j'ai dans mon esprit, c'est "Chouette, encore une journée de vie !" Et je prends ça pour un cadeau. Et la deuxième phrase, c'est : "J'espère que je vais faire de cette journée quelque chose de joli." Alors, je ne sais pas si je vais faire des jolies choses, mais je vais tout faire pour essayer !

Quand vous avez un petit coup de cafard, qu'est-ce que vous faites pour vous remonter le moral ? 

J'écris. C'est la seule chose qui me détend. Et plus j'écris des choses fantastiques, plus ça me détend. 

Comment vous l'expliquez ? 

Parce que j'ai fabriqué un monde et je me dis que, quelle que soit ma situation qui n'est pas terrible, je suis encore capable de faire un personnage et de lui faire arriver ce que j'ai envie qu'il arrive. Donc quelque part je suis le Dieu de ma petite histoire. Ça me redonne du pouvoir, je ne suis plus en train de subir le monde. 

En parlant de détente, ce qu'on apprend dans votre livre, grâce à cette fameuse "Encyclopédie du savoir relatif et absolu", c'est qu'aller se promener en forêt, c'est très bon pour la santé, 

Oui, ça s'appelle la sylvothérapie. Ce sont les Japonais qui ont inscrit ça dans l'éducation des enfants.*Tout simplement, les arbres produisent des petites molécules qu'on appelle les phytocides, qui, lorsqu'on les absorbe, nous font du bien, comme des médicaments. Et ces phytocides, c'est un moyen pour les arbres de communiquer entre eux par voie aérienne. Et aussi un moyen de déclencher la pluie. Toutes ces trois choses, je les ai découvertes en écrivant le livre. Mais on n'a même pas besoin d'expliquer ça scientifiquement. Il suffit nous-mêmes de faire l'expérience. Quand ça ne va pas, on va se promener en forêt, ça va mieux. 

Bernard Werber, question gratitude. Est-ce qu'il y a une personne qui a beaucoup compté pour vous, que ce soit sur le plan professionnel ou privé, et à qui vous avez vraiment envie de dire merci aujourd'hui ? 

Oui. Il y en a une qui est malheureusement décédée, qui s'appelle Reine Silbert. C'est mon ancienne rédactrice en chef. C’est la première personne qui a lu mon manuscrit (Les "Fourmis" ndlr) et qui m'a dit : "Perds pas ton temps dans le journalisme, ton vrai métier c'est écrivain !" Et la deuxième personne, c'est Richard Ducousset, qui est éditeur et qui m’a dit : "Moi, je vois dans ce livre un retentissement qui pourrait aller dans le temps et dans l'espace. Et je crois que ça pourrait marquer les générations." Donc le seul fait que ces deux personnes aient cru en moi, j'ai essayé de ne pas les décevoir. 

Est-ce que vous ne remercieriez pas aussi l'écrivain américain Philip K. Dick **que vous avez découvert en 82 pendant vos études de journalisme et qui a été un choc littéraire pour vous ? 

C'est mon maître, mais je ne l'ai jamais rencontré. Mais ce que je sais, c'est que son œuvre, par contre, m'a ouvert plein de perspectives nouvelles et j'ai l'impression que c'est quand même l'écrivain qui est le plus en avance et le plus innovant qui n'a jamais existé. 

Bernard Werber, pour terminer, vous connaissez le dicton "Pour vivre heureux, vivons cachés" . Mais pour vous, pour vivre heureux, il faudrait vivre comment ? 

Je vais vous dire quelque chose d'un peu surprenant, mais je crois que pour vivre heureux, il faudrait vivre très longtemps. C'est-à-dire que je pense qu'avec le temps, on finit par ne plus accorder d'importance aux petites c.., on finit par tout relativiser et s'apercevoir la chance qu'on a déjà d'être né et de vivre. Nous avons finalement peut-être des vies très courtes, nous sommes censés vivre 90 ans et en 90 ans nous mourrons peut-être au moment où nous sommes sur le point de tout comprendre. Donc, pour vivre heureux, il faudrait vivre très longtemps. Moi j'aimerais bien vivre mille ans pour avoir réellement un recul sur ce qui se passe. 

Mais vivre longtemps, être immortel, est-ce que ça ne serait pas pesant à la longue, surtout quand votre entourage ne sera plus là pour vous accompagner ? 

Alors, être immortel et vivre mille ans, ce n'est pas pareil. Mille ans, ça peut s'arrêter. Et dans mon vœu, il y a l'idée que tous les autres vivent aussi mille ans. Donc on serait entre gens conscients du recul des choses. Je n'ai pas envie d'avoir une qualité que les autres n'ont pas. J'ai juste envie d'avoir cette expérience et comprendre comment créer pour aller plus loin, me perfectionner encore plus et lancer des projets encore plus fous !

• En France, la forêt de Hostens, en Gironde, a été labélisée "Sylvothérapie"
• Philip K Dick, (1928-1982), auteur américain, pionnier de la "philosophie-fiction". Ses livres ont inspiré "Blade Runner", "Total Recall" ou "The Truman show" au cinéma.

Son actualité : "la Voix de l'Arbre" , son 35e roman est publié chez Albin Michel. En fonction de l'intérêt des lecteurs, il pourrait y avoir une suite ... ou pas !