En 2023, 75 millions d'exemplaires de bandes dessinées ont été vendues en France et la bande dessinée représente toujours un livre vendu sur cinq. Un plaisir pour les lecteurs ; un problème pour les auteurs qui peinent à exister dans cette masse de titres et ce flux constant. À Lyon, les auteurs misent sur le marché local pour survivre.
« Sur les trois derniers mois, j’ai gagné 500€ » rit Elisa Ducroz. Cette jeune bédéiste à l’atelier Mauvaise Pente préfère considérer sa situation précaire avec philosophie. Comme 36% des auteurs de bande-dessinée, elle vit sous le seuil de pauvreté et reconnaît faire appel à la générosité de son père dans les coups durs. Mais elle ne s’en offusque pas. « Ça me paraît normal que ce soit la merde. C'est comme ça, tant pis. C'est pas une bonne manière de voir les choses mais je savais que c'était déjà pas ouf comme milieu en rentrant dedans ». Alors elle se réjouit déjà de pouvoir vivre du dessin et n’envisage pas à court terme de publier un album car elle sait « que ça ne rapportera pas non plus énormément d’argent ». Et pour cause, les auteurs sont payés en droits d'auteur, un pourcentage sur les ventes, souvent compris entre 6% et 12% du prix public. Sur un album vendu 20 euros, l'auteur touche maximum 2,40 euros bruts par exemplaire, à partager parfois entre scénariste et dessinateur, et à condition d'avoir vendu suffisamment d'albums pour rembourser au préalable les avances sur droits perçues avant la parution. Combien d’exemplaires faut-il vendre d’un album pour espérer en tirer un revenu ? Pour Iris Munsch, actuelle directrice artistique du Lyon BD Festival et ancienne éditrice chez Casterman « il faut au moins en vendre entre 8 000 et 10 000 avant de toucher quelque chose. C'est vraiment beaucoup. En moyenne, sur toutes les bandes dessinées produites chaque année, le tirage est en-dessous de 4 000. La plupart des auteurs ne touchent que leurs avances sur droits ».
Alors Elisa Ducroz vit « d'illustration un peu par-ci par-là, de commandes de BD via l'Épicerie Séquentielle ou des entreprises ». L’Épicerie Séquentielle est en effet un lieu qui compte à Lyon. Cette association créée en 2004 réunit des auteurs de BD lyonnais pour valoriser leur art et les mettre en réseau. Installée au Collège Graphique à Lyon, elle autoédite depuis dix ans Les Rues de Lyon, une revue BD vendue 3€ qui propose tous les mois un récit complet en bande dessinée sur l'histoire lyonnaise. Un format créé pour « aller chercher des nouveaux formats qui sont plus proches du journal, du magazine et aller sensibiliser des personnes qui n'avaient pas forcément envisagé lire ce genre de support » explique Olivier Jouvray, scénariste, éditeur et fondateur de Les Rues de Lyon.
Fort de son succès, le magazine a été décliné en Rues des Sciences – revue de vulgarisation scientifique en bande-dessinée – et en octobre 2025 seront lancées Rues des Gones pour « expliquer de manière documentaire, toujours en dessin, bande dessinée et illustration, aux enfants comment fonctionne une ville comme Lyon » explique celui qui est aussi professeur de bande-dessinée à l’école Emile Cohl. « On s'est dit que le locavore, c'est pas que pour la bouffe ! » sourit-il.
Mais derrière son humour, le projet local se voit comme une réelle alternative à un problème de fond : « on se retrouve avec une surproduction assez gigantesque et pour mes étudiants qui démarrent dans le milieu, arriver à se positionner, à faire leurs premiers albums, à se faire connaître, ça devient vraiment très très difficile. Donc notre démarche avec l'Épicerie séquentielle, c'est d'essayer de construire un marché local de la bande dessinée ».
Sans ignorer le problème de la multiplication des écoles d’arts, il tente aussi depuis plus de vingt ans de sensibiliser des maisons d’éditions « qui n’ont malheureusement pas toujours été à l'écoute ». Olivier Jouvray regrette « de voir des maisons d'édition qui souvent affirment que c'est pas forcément leur faute, ou que c'est pas forcément la bonne solution que de diminuer le nombre d'albums parus, en arguant que si on publie moins d'albums, c'est moins d'artistes publiés »
Si on passe deux ans à travailler un album pour qu'il soit vendu à 1000 exemplaires, ça sert pas à grand-chose, ça ne rapporte de l'argent à personne.
Les maisons d’édition conseillent souvent aux auteurs d’avoir « un vrai métier à côté », mettant de côté leur responsabilité dans cette surproduction.
Pour Iris Munsch, il ne fait aucun doute que « les maisons d'édition sont à 100% responsables, puisque c'est elles qui mettent en vente et qui produisent les bandes dessinées. Et oui, elles sont sans doute trop nombreuses à trop en faire chaque année. Ce serait difficile de revenir en arrière : c'est injuste du point de vue des créateurs si jamais il y avait des quotas, par exemple, à respecter pour les maisons d'édition. En revanche, quand on voit la masse de ce qui est produit chaque année, qui est mise en place sur les tables des libraires à peine quelques jours, voire pas du tout, parce qu'il n'y a pas de place, je pense que tout le monde aurait à gagner à essayer de moins produire pour peut-être mieux produire ».
Alors que plus de 100 nouveautés arrivent chaque semaine dans les librairies, certaines bandes-dessinées ne verraient-elles jamais la couleur d’un rayonnage comme le dit Iris Munsch ? Chaque année, 25 000 tonnes de livres, tout format confondu, finissent par être détruits et recyclés. Pour éviter que les livres ne finissent au pilon, la librairie spécialisée La Bande Dessinée à la Croix-Rousse repense régulièrement ses tables. « Aujourd'hui, la durée de vie d'une bande dessinée en librairie, en facing, est de 15 jours à 3 semaines. C'est-à-dire qu'une bande dessinée qu’on pouvait laisser en avant pendant un, deux, trois mois, aujourd'hui va devoir tourner. Le rythme de parution est tellement soutenu qu'il faut malheureusement faire de la place en permanence. On va mettre en avant des tables de nouveautés, mais on a aussi choisi de mettre en avant des bandes dessinées sur le long terme » détaille Simon Beauvarlet de Boismont, libraire.
La librairie a aussi choisi de réserver un rayon à la bande dessinée locale, dont les Rues de Lyon. Lui, pourtant, milite pour que des BD continuent de sortir, arguant qu’on est encore « très, très loin des chiffres de la littérature » et que « 50% des ventes d'une bande dessinée, si c'est un premier tome, se font sur deux semaines ». Mais en tant que librairie spécialisée, « on essaie de prendre à peu près tout ce qui va être premier tome. Même si on n'en prend pas, évidemment, 50 exemplaires de chaque, comme on pouvait le faire il y a quelques années ». Ces changements impactent directement les clients qui doivent accepter d’attendre quelques jours pour obtenir une bande dessinée qui n’est plus en stock.
Mais le libraire voit également du positif dans cette multiplicité d’auteurs avec une évolution du marché vers une plus grande diversité « entre autres des formats et également des thèmes. On a créé, par exemple, un rayon consacré à l'écologie ou un rayon consacré au féminisme. On a vu émerger des formats très différents avec des leporello [ivre accordéon NDLR], des livres fresques, mais également des livres à l'italienne, des livres troués. Tout est possible aujourd'hui ».
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