78e Festival de Cannes : Conférence de presse Dardenne : « Les émotions doivent faire réagir ».
Après avoir connu l’émotion lors de l’ovation du public du Grand Théâtre Lumière vendredi en fin d’après-midi, une émotion remplie du souvenir d’Emilie Dequenne, Palme d’or et prix d’interprétation en 1999, pour « Rosetta » projeté lui aussi le dernier vendredi du Festival et à 16 heures comme cette année, Jean-Pierre et Luc Dardenne, accompagnés de leurs cinq actrices, ont rencontré la presse pour évoquer leur dernier « bébé » cinématographique, « Jeunes Mères ».
Jean-Pierre et Luc Dardenne tout sourire en conférence de presse © Pierre GermayLes émotions font réagir
« Cette émotion ressentie hier lors de la projection officielle, ça nous donne plein de courage, ça veut dire que le travail âpre qu’on a mené pendant deux longues années est reconnu. Et ça, c’est formidable pour nous, commente Jean-Pierre Dardenne. Les émotions ne sont pas mécaniques, elles font réagir et peuvent influencer nos choix futurs, pour un prochain film moins sombre ! »
Cette histoire de cinq filles mères, hébergées dans un foyer d’accueil, c’est pour la première fois de leur cinématographie une histoire de groupe. Luc Dardenne : « Avant, on centrait nos films sur une personne. Ici, c’est différent, on a un groupe de cinq jeunes mères en difficulté, proches du renoncement mais qui sont encore plein de vie ».
Les maisons maternelles, un havre de vie
Et de poursuivre : « Dans cette maison maternelle, elles nouent des relations avec d’autres jeunes mères et leur enfant, c’est un havre de paix. Et c’est cet aspect qui nous a motivés à faire ce film, on voulait capter ça ».
« Jeunes Mères » est bien un film de fiction, ce n’est en rien un documentaire. Les cinq jeunes actrices choisies par les frères, Babette Verbeek, Elsa Houben, Janaïna Halloy Fokan, Lucie Laruelle et Samia Hilmi n’étaient pas mamans elles-mêmes : « Elles ont été coachées, explique Luc Dardenne. Comment tenir un enfant, comment les calmer quand ils pleurent… Elles ont été formidables : alors que d’habitude, on tourne nos films en 58 jours, ici, le tournage n’a duré que 38 jours ! Elles ont tout de suite été dans leurs personnages ».
« Nos personnages, on les aime vraiment »
Alors qu’une journaliste américaine faisait l’loge du film à en avoir les larmes aux yeux, Jean-Pierre Dardenne a rappelé le sens de leur démarche cinématographique : « En tant que cinéastes, on s’intéresse vraiment à nos personnages. On veut qu’ils soient le plus présents possible. Leur présence, leur manière de se déplacer, de s’exprimer, leur gestuelle… On les aime vraiment. On veut qu’ils soient le plus présents possible devant la caméra. Mais pas trop non plus : parfois, 30 secondes suffisent, pas 35, c’est de trop ! Tout est millimétré. Parfois, trente secondes peuvent suffire pour provoquer l’émotion et que le spectateur soit transformé quand il quitte la salle ».
La lumière, un équilibre fragile
La lumière du film fait aussi l’objet de beaucoup d’attention de la part des frères : « Au bout de chaque trajectoire, que ce soit à l’intérieur de la maison maternelle ou dehors, il fallait que la lumière souligne comment ces jeunes femmes peuvent se libérer de leur situation, explique Luc Dardenne. Il fallait chaque fois trouver un équilibre fragile avec la lumière pour qu’une atmosphère d’apaisement puisse être ressentie ».
Les sons de la vie
Le cinéma des frères Dardenne ne recourt que rarement à la musique. C’est Jean-Pierre Dardenne qui se confie à ce sujet : « Pour nous, c’est le son qui compte, pas forcément celui d’une musique mais bien plutôt celui du milieu ambiant qu’on filme : ce sont les sons de la vie, sur le terrain, qui nous intéressent et qu’on intègre dans notre mise en scène. Dans la circulation, le son des voitures qui s’arrêtent puis qui redémarrent, ça, ça nous intéresse. Parfois, des silences sont très parlants. Enfin, les gestes et les objets sont aussi choisis de manière très précise ».
Les maisons maternelles ? Un service public à encourager
Ce type d’institution, les maisons maternelles, c’est un service public : « Oui, insiste Luc Dardenne. S’il y a beaucoup de jeunes femmes qui se retrouvent enceinte très jeunes, c’est probablement lié à un problème éducatif : ont-elles pu accéder à la pilule, à la contraception ? Ont-elles pensé à avorter ? Mais le délai légal était peut-être écoulé. Au sein de ces maisons maternelles, elles trouvent l’opportunité qu’elles n'ont pas eue dans leur famille ou à l’école. Elles y apprennent à se responsabiliser. Elles peuvent y rester jusqu’aux 18 mois de leur enfant. Et ça, c’est un service indispensable qu’on voulait montrer ».
