78e Festival de Cannes : avec des films égyptien et iranien en sélection, Cannes défend la liberté d’expression plus que jamais.
Donner la parole à des cinéastes poursuivis par le pouvoir en place dans leur pays et souvent obligés de fuir en exil à l’étranger, ça a de tout temps été une volonté bien assumée du Festival de Cannes.
L'Iranien Jafar Panahi en conférence de presse, à Cannes © Pierre GermayEt c’est encore le cas cette année avec deux films venus du Moyen-Orient, l’un d’Egypte et l’autre d’Iran.
« Les aigles de la République »
Le film égyptien d’abord : « Les Aigles de la République » de Tarik Saleh qui boucle ainsi une trilogie entamée avec « Le Caire confidentiel » et poursuivie avec « La conspiration du Caire », prix du scénario à Cannes, déjà, en 2022.
Avec l’histoire de l'acteur le plus apprécié d'Égypte, George Fahmy, qui subit des pressions pour jouer le rôle du Président de la République dans un prochain film façonné tout à la gloire de celui-ci, Tarik Saleh scrute à nouveau les dessous de la politique égyptienne. C’est que si cet acteur, sorte d’Alain Delon égyptien, accepte le rôle, c’est à contrecœur tant il ne partage pas l’idéal politique du Président de son pays, loin s’en faut.
Thriller politique
S’en suit un thriller politique rondement mené sur fond de manipulations, intrigues amoureuses et complots politiciens. Mais « Les Aigles de la République » lorgne aussi du côté de la comédie noire, avec son lot de surprises et de drôlerie irrévérencieuse, stigmatisée par ces militaires aux uniformes croulant sous les décorations tels des pantins désarticulés du pouvoir.
Dans le rôle principal, on a l’acteur libanais Fares Fares, star dans son pays, mais aussi bien au-delà aujourd’hui. Il excelle dans le rôle de cette vedette de cinéma, charmeur et menteur, d’abord fanfaron, plutôt insouciant, puis gagné par la terreur de la situation dans laquelle il se trouve piégé.
« Un simple accident »
Et puis, il y a le nouvel opus du cinéaste iranien Jafar Panahi, « Un simple accident ». Jafar Panahi, l’un des cinéastes les plus influents de la nouvelle vague iranienne, déjà Lion d’Or à Venise en 2000 pour « Le Cercle », Ours d’or à Berrlin en 2015 pour « Taxi Téhéran » et prix du scénario à Cannes, en 2018, avec son film « Trois visages ».
Condamné en 2010 par la justice iranienne à 6 ans de prison ferme pour propagande contre le régime, placé en liberté conditionnelle puis arrêté en juillet 2022 à l'âge de 62 ans, il ne doit d’avoir été libéré en février 2023 qu’à une grève de la fin et de la soif.
Tourné clandestinement
Son dernier film en date, présenté en compétition, « Un simple accident », Jafar Panahi l’a tourné clandestinement dans son pays. Il y raconte le martyre des prisonniers iraniens à travers une épopée en van. Dans cette estafette se trouve un homme qu’un ouvrier autrefois arrêté parce qu'il réclamait simplement qu'on lui verse son salaire, a reconnu comme étant son tortionnaire au petit grincement de la prothèse de sa jambe.
Jafar Panahi explore ainsi les conséquences imprévues d’un accident mineur - un chien a été renversé par une voiture, dès lors endommagée - et signe ainsi un nouvel acte de résistance envers le pouvoir de Téhéran.
Même si le contexte est douloureux, Jafar Panahi réussit à glisser dans son film de la beauté, de la poésie et même de la drôlerie ! On regrettera juste le côté fort bavard du film.
Nouvel acte de résistance
Au terme de la projection officielle dans la salle du Grand Théâtre Lumière, Jafar Panahi a pris la parole : c’est une tradition pour tout réalisateur qui vient d’y présenter son film en sélection officielle. Jafar Panahi a ainsi dédié son film à tous les artistes qui ont dû quitter l’Iran et vivent dispersés un peu partout à travers le monde. Et il a conclu en ces mots :
« J'espère de tout cœur voir advenir ce jour où nous pourrons tous rentrer en Iran et construire main dans la main notre pays ».
Une Palme d’or ?
Faut-il voir dans ce film « Un simple accident » un prétendant sérieux à la Palme d’Or ? Si ce devait être le cas, n’y verrait-on pas une volonté politique un peu trop marquée, au détriment de l’aspect cinématographique pur ? Lui décerner un prix spécial du jury, comme le règlement du Festival le permet, chaque année, serait peut-être plus approprié.




