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Pourquoi une telle notoriété pour le Canon de Pachelbel ?
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Pourquoi une telle notoriété pour le Canon de Pachelbel ?

Un article rédigé par Michel Trémoulhac - RCF Saint-Étienne, le 12 novembre 2022  -  Modifié le 17 juillet 2023
Musiques en vie Non, Pachelbel n'a pas écrit que le célèbre canon !

Adagio d’Albinoni, Petite Musique de nuit de Mozart, Lettre à Elise ou Cinquième Symphonie de Beethoven, Toccata en ré mineur de Bach, Canon de Pachelbel, comment ces œuvres se retrouvent-elles au panthéon du répertoire classique ? Pourquoi le grand public les a-t-il érigées en chefs d’œuvre absolus ? L’exemple du Canon de Pachelbel apporte peut-être quelques éléments de réponse...

© RCF42 Johann Pachelbel (DR) © RCF42 Johann Pachelbel (DR)

Lorsque l’allemand Johann Pachelbel compose vers 1680 un Canon et gigue en ré majeur pour trois violons et basse continue, il est loin de se douter que cette pièce deviendra près de 300 ans plus tard, l’une des compositions les plus célèbres au monde. A l’époque c’est plutôt une œuvre de circonstance, utilisée peut-être à plusieurs reprises comme musique de mariage.

Pachelbel, un proche de la famille Bach

Né à 1653 à Nuremberg, Pachelbel va connaître une carrière d’organiste et de professeur qui le mènera dans diverses villes du centre ou du sud de l’Allemagne. C’est probablement durant son séjour à Erfurt (dans la province de Thuringe) que Johann Pachelbel va écrire son Canon. Très proche de la famille Bach depuis son séjour précédent à Eisenach, ville de naissance de Jean-Sébastien, il est alors logé chez un membre de cette illustre famille et devient même parrain de la sœur aînée de Bach. Professeur très estimé, il enseignera également à Johann Christoph l’art de l’orgue et de la composition avant que ce dernier ne prenne sous sa protection son petit frère Jean Sébastien, alors âgé que de dix ans à la mort de son père en 1695. C’est dire que Pachelbel, bien qu’il ne fût jamais le maître de Bach, le marqua indirectement de son influence, par la qualité de son art.

 

© Oliver Kurmis

 

Car Pachelbel est vraiment un compositeur essentiel de cette fin du XVIIe siècle en Allemagne du sud. Et ce n’est que depuis les années 2000 que l’on mesure l’étendue et la richesse de son catalogue d’œuvres, tout en regrettant qu’un grand nombre d’entre elles soient aujourd’hui perdues. Dans ce corpus immense il semble que le Canon soit assez isolé. D’une instrumentation proche de celle des six Suites du Musicalische Ergötzung (Délices musicales), il n’en fait pourtant pas partie. Les suites aussi sont écrites pour violons et basse continue, elles aussi contiennent parfois des gigues, une pièce ternaire évoquant une danse enlevée, mais ces Délices musicales sont vraisemblablement publiées en 1691, donc postérieurement à notre célébrissime Canon.

Canon ou chaconne ? Les deux !

Alors pourquoi ce terme de Canon ? Il aurait pu en fait porter tout aussi bien le titre de chaconne ! Car cette pièce combine deux procédés musicaux très en vogue à l’époque : celui du canon, une écriture polyphonique (à plusieurs voix) procédant d’un savant tuilage entre les voix, la seconde, identique à la première mais se superposant quelques mesures plus tard dans le discours musical. La troisième faisant de même sous les deux premières, etc.  L’œuvre étant pour trois violons, cela donne la partition suivante :

© RCF42

Mais observons également la ligne de basse : les notes se répètent toutes les deux mesures. On appelle cela une basse obstinée, sorte de boucle qui tourne inlassablement tout au long de la pièce. Comme il s’agit d’une basse continue (BC), le musicien sur son clavier (clavecin ou orgue) se doit de l’enrichir par des accords joués à la main droite qui complètent l’harmonie, l’habillage sonore du morceau. Ce type de pièce porte le nom de chaconne ou passacaille.

Les raisons du succès

Dans le cas du Canon, cette succession d’accords, constituant dans le jargon des musiciens une "marche harmonique" (les jazzmen parleraient eux de "grille d’accords"), est peut-être la clé de son succès auprès du grand public. Ce fondement musical répétitif, facilement mémorisable, presque litanique, procure à l’auditeur un plaisir sonore simple et confortable. Il y trouve instantanément ses repères et peut alors goûter pleinement la polyphonie qui se déroule au-dessus. Reste un mystère : pourquoi un succès planétaire pour cette pièce-là alors que tant d’autres sont construites sur le même schéma ? La réponse est peut-être dans la géniale succession de ces huit notes de basse, cette combinaison de trois quartes descendantes avant une remontée en demi-cadence. Et pour cela Pachelbel n’a (presque) rien inventé ! Il s’est inspiré directement d’une basse obstinée très en vogue à son époque, intitulée Romanesca, une formule harmonique qui remonte au XVIe siècle et qui est encore très populaire aujourd’hui dans la musique de danse traditionnelle, au Mexique par exemple :

© RCF42

 

Sans avancer d’opinion tranchée, on peut donc penser que le Canon de Pachebel doit son immense succès à deux composantes : la qualité mélodique des trois voix identiques qui se superposent et s’enchevêtrent en décalé, mais surtout l’enchaînement harmonique qui soutient cette polyphonie et qui installe ce calme, cette sérénité, dans une répétition inlassable qui procure le bien-être, à l’image d’une berceuse.

Et pour preuve que c’est bien cette basse qui a séduit le public, il n’est que de compter les dizaines de chansons, de tous styles allant du rock au rap, qui ont été créées depuis la redécouverte de l’œuvre dans les années 1960, en reprenant textuellement cette marche harmonique en guise d’accompagnement. On pourra s'en convaincre en écoutant cette émission "Non, Pachelbel n'a pas écrit que le célèbre Canon !" (voir en haut de page), visant par ailleurs à découvrir d'autres facettes du compositeur.

 

On se doit, en conclusion, de saluer le travail de Jean-François Paillard et de son Orchestre de Chambre, qui contribua à faire entendre dans les années 1960 ce Canon inconnu à l'époque, dans une interprétation certes bien éloignée de celles des baroqueux actuels, mais qui eut le mérite de ressusciter l'oeuvre et de la livrer à la postérité.

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