Toc : comment en sortir quand tout tourne à l'obsession ?
Il met des heures à se laver les mains dans la salle de bains. Elle vérifie et revérifie sans cesse les fermetures des portes et des fenêtres. Autant de comportements qui porte un nom : TOC, Trouble Obsessionnel Compulsif. En France, près de 2 millions de personnes en souffriraient à des degrés divers. Mais comment expliquer cette maladie ? Quelles conséquences au quotidien et pour l’entourage ? Et surtout, comment en sortir ? Décryptage avec le Dr Anne-Hélène Clair, psychiatre spécialisée et Raphaël Blot, vice-président de l’association AFTOC.
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Manie, lubie, phobie. Autant de termes qu'on assimile au toc. Mais comment le définir précisément ? "D’abord, il est important de dire que c’est une maladie neuro psychiatrique." souligne le Dr Anne-Hélène Clair. C'est d'ailleurs la quatrième pathologie psychiatrique la plus fréquente, qui toucherait 2% de la population mondiale. Une maladie qui n'est pas un phénomène de mode puisque les premières descriptions remontent à 300 avant JC, où les malades pensaient eux-mêmes être possédés.
Il faudra attendre le 19e siècle pour aboutir à la définition actuelle : Trouble Obsessionnel Compulsif. Un acronyme détaillé par la spécialiste en neuro sciences. "Trouble, c’est quelque chose qui va être gênant, handicapant au quotidien. Obsessionnel : des pensées des images qui arrivent dans notre tête alors qu’on ne le souhaite pas et qui vont entrainer une angoisse. Enfin Compulsif, des comportements ou des actes mentaux, qu’on va répéter sans cesse pour faire diminuer cette angoisse. Mais le problème, c’est que ça ne marche pas trop !"
La peur d'être contaminé
Sur quoi peuvent donc porter ces Tocs ? Ils peuvent prendre plusieurs formes. "Peur de faire une erreur, explique la psychiatre "quand j’ai envoyé un mail ou d’avoir mal fermé ma porte d’entrée. Je vais donc vérifier sans cesse. Obsession aussi qu'une catastrophe se produise et que ce soit ma faute, ce qui va m’amener à faire là encore des vérifications. Mais d’autres craintes peuvent se révéler : "Peur d’être pédophile ou homosexuel, de toucher ou tripoter quelqu’un sans s’en rendre compte. Il y a même des tocs liés à la religion, peur de blasphémer sans le vouloir ou de s’en rendre compte. »
Reste que le plus fréquent des tocs concerne la peur d’être souillé et contaminé. Le cas de Raphaël Blot, 32 ans aujourd’hui, qui a subi cette obsession pendant 12 ans. "Au tout début", raconte-t-il, "ça a été l’impossibilité de tourner les poignées de porte. C’était orienté contre mes parents, qui étaient en plein divorce. J’avais beaucoup de colère en moi et cette violence s’est matérialisée en ne voulant plus toucher les objets qu’ils avaient eux-mêmes touchés. Et après, les objets contaminés deviennent contaminants, je n’étais plus capable de porter de chemise » Des rituels de compensation qui ont aussi évolué. "Au départ, il y a eu des formules incantatoires pour chasser les mauvaises pensées, mais après, c’étaient des lavages de main ou d’objets et aussi des évitements, ne plus serrer des mains ou de sortir de chez soi."
Une anomalie biologique
Mais comment expliquer ces troubles ? Contrairement aux idées reçues, ils ne proviennent pas (ou très rarement) à cause d’un traumatisme lié à l’enfance ou d’une éducation trop rigide. L’hypothèse serait biologique. "Il y a quelque chose qui fonctionne mal dans notre cerveau", expose le Dr Clair "entre les zones à l’avant qu’on appelle le cortex préfrontal, impliqué dans nos émotions et la façon de réfléchir. Et puis des zones plus profondes, les ganglions de la base, impliqués dans des automatismes, la génération d’habitude, de routine. Et on pense que ces deux zones qui communiquent entre elles ne fonctionnent pas bien quand on a des Tocs. » Peut-il y avoir un "héritage" familial ? "Probablement" estime la psychiatre. "Un terrain génétique qui va influencer la façon dont fonctionne notre cerveau. Et après, des éléments d’environnement vont rentrer en compte, à l’école, au travail, qui vont faire qu’à un moment donné, un toc apparait."
Médicaments et TCC
Comment dès lors soigner un Toc ? Deux solutions peuvent se combiner. En premier lieu, des médicaments qui vont aider à réguler le taux de sérotonine et de dopamine dans notre cerveau, ces deux neurotransmetteurs qui peuvent être à l'origine des dysfonctionnements. Un traitement qui peut avoir des effets secondaires, comme des tremblements ou nausées, mais "qui n’entrainent pas de dépendance" souligne bien la co-auteure de "Tocs: les comprendre et s'en libérer"
Autre piste : les TCC, Thérapies Comportementales et Cognitives, méthode brève, considérée comme la plus efficace. "La base de cette approche, c’est la psycho éducation." précise la praticienne. "C’est-à-dire qu’on vous explique ce que vous avez, comment fonctionne le toc et comment le combattre. Et ces outils, c’est de venir s’exposer de façon progressive à ce qui nous fait peur. Et plus on va répéter ces exercices, plus l’angoisse va être petite et courte. » Une technique utilisée d’ailleurs avec succès contre les phobies, peur d’araignée ou de prendre l’avion.
Un sentiment de honte
Encore faut-il accepter de consulter. Car il peut y avoir déni du concerné, se persuadant que "ça finira par passer." Mais surtout le sentiment de honte : "On sait que c’est absurde, mais c’est plus fort que soi." témoigne Raphaël Blot. "Et quand quelqu’un vous dit qu’il n’y a pas de problème à toucher des poignées de portes, on le sait, mais on se sent encore plus minable. On a tellement honte qu’on ne veut en parler à personne et encore moins à un thérapeute."
Un entourage qui ne sait pas toujours comment se situer, entre faire semblant de ne rien voir, rentrer dans le jeu et aggraver les symptômes ou s’exaspérer. C’est d’ailleurs suite à la séparation avec sa compagne, qui ne supportait plus son comportement, que le jeune trentenaire a fini par consulter. Avec succès, puisque les premiers effets bénéfiques de la TCC se sont fait ressentir au bout de trois semaines.
L'AFTOC en soutien
Longtemps caricaturés ou réduits au seul côté spectaculaire, le regard sur les tocs est aujourd’hui en train de changer, ne serait-ce que par l’attention portée à la santé mentale, consacrée cette année grande cause nationale. "Mais dans notre association, on voit encore arriver des personnes stigmatisées et le combat ne sera jamais terminé." déplore son vice-président.
D’où le rôle de l’Aftoc, créé en 92 par un ancien patient, qui mène quatre missions principales : "Aider et informer les malades, mais aussi l’entourage, sensibiliser le grand public, peser sur les instances de santé pour une meilleure prise en charge et enfin promouvoir la recherche." Et le Dr Anne-Hélène Clair de rappeler "qu’on peut guérir à 100 % d’un toc." Preuve avec Raphaël qui, aujourd’hui, ne craint plus de porter des chemises, même sans cravate !
Pour aller plus loin :
"Toc, les comprendre et s'en libérer" par Vincent Trybou, psychologue spécialisé en TCC, le Dr Anne-Hélène Clair, psychiatre, Dr en neurosciences et le Dr Elie Hantouche, psychiatre, directeur du CTAH à Paris. Un ouvrage de référence, nouvellement réédité, qui expose les différentes formes de toc, ses causes, ses traitements et sa reconnaissance en tant que handicap. Editions "le courrier du Livre"
L'AFTOC, association française de personnes souffrant de troubles obsessionnels compulsifs . Une information et un soutien notamment par des groupes de paroles. A retrouver sur son site : https://aftoc.org/


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