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Sur le chemin de l’anorexie : lumière crue et lueur d’espoir 

Sur le chemin de l’anorexie : lumière crue et lueur d’espoir 

Un article rédigé par Caroline Kowalski - RCF Hauts de France, le 23 juillet 2025 - Modifié le 23 juillet 2025
La récré de l'été [Chronique littéraire] Un cri dans la gorge, ma traversée avec l’anorexie.

Valérie Prouvost, habitante de Croix, nous livre un récit tout à la fois poignant et éclairant. Un cri dans la gorge - Ma traversée avec l’anorexie. Editions Librinova. 16,90 euros.

 

Valérie souffre depuis presque cinquante ans d’une maladie encore stigmatisée. Sans un réseau étendu de proches, thérapeutes, associations et autres “anges gardiens” sur son chemin, elle n’aurait peut-être pas survécu à l’enfer de l’angoisse et de traitements datés qui prévalaient encore récemment dans la gestion des troubles des conduites alimentaires (TCA). Témoignage actuel, précis, courageux, son travail éclaire des pans d’une pathologie souvent inintelligible. Il est aussi - et ce n’est pas la moindre de ses qualités - une ôde à tous les liens qui l’ont sauvée de silences étouffants, de culpabilités mal placées, d’une quête effrénée de perfection - intenable et pourtant si tenace.

Gravure : Marion ProuvostGravure : Marion Prouvost

Je suis encore révoltée. Il fallait voir ce qu’on nous faisait subir dans certains services d’addictologie et TCA de la région il n’y a pas si longtemps. Contraintes, suspicions, interdits, pesées plusieurs fois par semaine, calcul d’IMC au gramme près - toute dépense physique devant être compensée par un apport calorique…

 

Le tour de France thérapeutique de Valérie a démarré l'année de ses 18 ans. Dijon, Arras, Vence, Nice, Contes, Maubeuge, Lille... D'hôpital en clinique psychiatrique, de maison de repos pour personnes âgées (!) en centre de cure pour addictions, cette Croisienne d’origine a découvert l’hexagone par le prisme d'expérimentations pour le moins indigestes.

 

Sous les caméras parfois, la menace souvent, soumises aux vérifications d’assiettes en public et collations forcées, partout le scénario se répète. Des patientes qui échangent peu et tiennent par les nerfs pour atteindre un objectif clairement énoncé : l’IMC (indice de masse corporelle) défini à leur entrée dans le service qui, seul, signe la fin d’une cure. Rarement une guérison définitive.

 

« J’avais repris des kilos mais la maladie était on-ne-peut-plus présente encore »

 

Enfermement, privations de téléphone, de rencontres et de sortie, jugements et humiliations d’un personnel qui prend souvent l’auto-restriction pour un caprice… Si les méthodes fortes expérimentées de 1977 à 2017 ne lui ont jamais convenu, dans un souci d'honnêteté intellectuelle Valérie conçoit qu’elles puissent bénéficier à d’autres.

Ces hospitalisations n’ont rien résolu, ne m’ont pas guérie, mais elles m’ont permis de continuer ma route. La clinique était une béquille dont j’aurais aimé me passer…

 

Relire avec attention ce parcours du combattant, sous nos yeux interdits, ce n'est pas seulement pour Valérie Prouvost dérouler un chapelet d’épreuves insoutenables. Mais davantage partager les étapes d’une recherche approfondie pour essayer de comprendre ce qui se joue depuis trop longtemps dans sa maladie.

Après une succession de révélations bouleversantes (entre 2019 et 2023), j’ai perçu clairement que c'était le silence qui m’avait tuée et que l’unique moyen d’expression à ma portée avait été de tomber malade et de crier famine.

 

L’accompagnement bienveillant de divers professionnels permet ainsi à Valérie de décoder certains mécanismes de compensation mis en place - à ses dépens - pour survivre. Dans les années 60, elle est une petite fille “trop sage” qui s’efforce toujours de rentrer dans le rang. Après le décès de sa petite sœur à la naissance, c'est le choc. Une chape de silence s’abat sur la famille. Deuil impossible à faire. Désarroi de parents sans doute plus démunis encore que cette enfant de 8 ans qui intériorise tout.

 

« On ne critique pas ses parents, de toutes façons, quand on est un enfant »

 

On ne critique surtout pas un père en souffrance qui reporte son affection sur son aînée, inconscient du poids de certains mots, de certaines attitudes. C’est là que tout à la fois, sidération et peur s’installent, terreau fertile de hontes, de culpabilités… et de sacrifices. Le piège du jeûne se referme sur la jeune fille qui cherche ainsi à « tuer tout désir » en elle-même, grisée sans doute par le pouvoir de contrôle qu’elle se découvre - ce même pouvoir qui contrôlera par la suite ses conduites alimentaires à risque.

Pendant longtemps je n’ai rien compris à ce qui m’arrivait. On ne fait pas exprès d'être malade. Nombre de psychiatres arrivent devant l’anorexie avec leurs petits schémas dans la tête, doutant de notre sincérité, certains qu’on a toutes les mêmes fonctionnements. Ils se positionnent en “sachants” et nous imposent des protocoles hyper-rigides alors que chaque fille a une histoire unique et sa façon propre d’exprimer sa souffrance.

 

Libérer sa parole

 

Encouragée par sa biographe Marie* à jeter noir sur blanc les colères enfouies depuis la disparition de Marielle sa petite soeur, elle explore tous les recoins de sa souffrance. Jusqu’au souvenir enterré des attouchements d’un psychiatre reconnu, lors de son premier séjour en hôpital psychiatrique à Dijon. C’est finalement au sein de l'hôpital Saint-Vincent-de-Paul de Lille qu’elle s’autorise à “crier”… Le jeune docteur qui l’accueille avec fermeté en 2023 (interdiction de sortie et pose d’une sonde) lui propose une forme de contrat strict mais sans jugement.

J'étais au paroxysme de l’angoisse. J’avais tellement besoin d’une écoute bienveillante, de chaleur humaine et d'empathie ! Quand les soignants m’ont parlé de coopération, je me suis sentie rejointe. Ils étaient là pour m’aider. On a pu cheminer ensemble. Je devenais enfin actrice dans le processus de soin. Mes trois passages à Saint-Vincent ont remis du possible dans ma vie et je suis extrêmement reconnaissante !

 

Garder le dialogue ouvert entre patients et soignants

 

En pensant à la jeune fille qu’elle était, Valérie aimerait encourager celles qu’elle croise encore dans les couloirs de l'hôpital à l’occasion de ses séjours de remise en forme, et leur dire :

Ne fermez pas la porte à ceux qui vous tendent la main, qui tentent de vous rejoindre dans la souffrance psychique quelle qu’elle soit. N’ayez pas honte ! Osez sortir de votre tanière. Les étiquettes nous collent à la peau et nous enferment. Personnellement, partager avec d’autres personnes qui sont dans la galère - comme tout le monde finalement - m’a libérée de la stigmatisation.

 

Le "miracle" du lien

 

Une dynamique qu’elle a pu cultiver notamment grâce à l’association diocésaine Amitié Espérance. Si Valérie ne cache pas sa honte persistante à dire son anorexie, le compagnonnage fraternel avec d’autres personnes en fragilité psychique, depuis 20 ans, soutient son chemin d’acceptation de la maladie et de foi dans ce qu’elle appelle “une Présence invisible”.

On partage cette même recherche intérieure profonde, qui a toujours été le fil directeur de ma vie. On n’est pas obligé d’y croire - j’ai encore du mal à employer le mot Amour - mais ça me sauve du désespoir et me permet de continuer ma route. Ce n’est que dans cette rencontre tout au fond de moi que j'accède à la paix.

 

Lorsqu’en son for intérieur, imprégné de perfectionnisme et de bonnes actions, Valérie s'empêche encore d'être heureuse, elle se raccroche aux paroles réconfortantes de Raphaël Buyse, accompagnateur de la Pastorale de la Santé“Jésus demande juste que vous viviez”. La culpabilité a encore de beaux jours devant elle mais Valérie se laisse aller de temps en temps à une posture qui pourrait laisser entrer la lumière. Une forme de… “capitulation".

 

« Vivre le présent, enfin ! »

 

Avec mes propres forces je m'épuise à chercher l’impossible. Quand je n’en peux plus j’essaie de me laisser relever, insuffler la vie par plus grand que moi. J'accepte de n'être ni sainte, ni parfaite, ni héroïne… de laisser Jésus m’aimer au cœur de mes faiblesses, mes manques, mes colères… De vivre, tout simplement. D'ailleurs, lorsque j’ai reçu le sacrement des malades, ce fut comme une grâce d’apaisement.

 

Aidée aussi par ABA (Anorexiques et Boulimiques Anonymes), association inspirée de la fécondité des AA (Alcooliques Anonymes) Valérie partage avec les membres du groupe sur les écueils et les stratégies pour essayer de s’en sortir. A cœur ouvert, sans hiérarchie, sans jugement et sans tabou.

Solidarité, confiance et vérité entre nous : c’est une chance et ça stimule. Le parrainage permet aussi de saisir une main amicale dans les moments d’angoisse. Ce n’est pas une solution mais c’est un début pour sortir de l’autodestruction, de la prison de la honte.

 

* « Marie de Francqueville m’a aidée à mettre en forme, éclaircir, synthétiser ce qui sortait de mes tripes… » Son site : miseenmots.com.

La récré de l'été - RCF Hauts de France
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
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