Bruit : quoi faire quand le travail nous casse les oreilles ?
Le bruit au travail : six salariés sur dix s'en plaignent aujourd'hui. Et c'est loin d'être une simple gêne, puisque chaque année en France, on enregistre un millier de cas de surdité professionnelle. Un chiffre encore sous-estimé. Quelles sont donc les sources d'agressions sonores et comment y faire face ? A l'occasion de la dixième semaine de la santé auditive au travail, l'expertise du Pr Hung Thaï Van, chef de service Orl au CHU de Lyon et Franck Fumey, fondateur de Continuum, entreprise spécialisée dans les solutions acoustiques sur mesure.
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Claviers qui crépitent, conversations entre collègues, sonneries incessantes. Pas vraiment reposante, l’ambiance sonore en open space. Mais quel est le seuil à ne pas dépasser ? Le code du travail l’a fixé à 80 décibels, soit l’équivalent d’une circulation intense dans une grande ville comme Paris. "S’il y a eu huit heures d’exposition d’affilée à ce niveau-là ou s’il y a eu des crêtes à 135 db, soit le bruit d’une explosion" précise le Pr Thaï Van "il faut proposer au salarié des protections individuelles, organiser aussi des campagnes de sensibilisation et d’information. Et l’employé peut demander de lui-même ou via son médecin traitant un test auditif qu’on appelle audiogramme." Reste que souvent, les nuisances peuvent commencer dès 65 décibels.
Des risques pas seulement pour les oreilles
Quels sont donc les risques à travailler dans un environnement bruyant au quotidien ? "Il peut y avoir un traumatisme avec des lésions qui vont se concentrer dans des capteurs situés dans l’oreille interne et en particulier les cellules ciliées qui peuvent souffrir d’une surexposition." explique le spécialiste en audiologie. D’où trois pathologies possibles : "l’hypoacousie, soit la diminution d’une sensibilité au son, l’hyper acousie, qui est au contraire une hypersensibilité et les acouphènes, soit des perceptions auditives fantômes, qui surviennent en l’absence de toutes stimulations sonores." Un phénomène qui se traduit notamment par ces fameux sifflements ou bourdonnements difficiles à supporter.
Mais le danger n’est pas seulement organique. Il peut aussi devenir psychologique. "Je reçois des patients qui décrivent des symptômes de fatigue, d’épuisement et de surcharge cognitive, comme troubles de l’attention ou de la concentration." Une pollution sonore qui ne concerne pas les secteurs réputés les plus bruyants, comme l’industrie, l’aéronautique ou l’audiovisuel. "On a des professions à risque." souligne l’ORL. "Des dentistes, des chirurgiens, des enseignants des musiciens, des chanteurs d’opéra et évidemment, tous ceux qui travaillent dans le bâtiment ou qui réalisent des travaux de voirie."
Des solutions pour mieux s'entendre ...
Quoi faire alors quand ces troubles auditifs apparaissent ? D’abord le diagnostic, qui passe par le fameux audiogramme, selon une méthodologie précise. "Le test consiste à délivrer au patient des listes de mots ou de phrases en présence de bruit" détaille le Pr Thaï Van "et de vérifier, en variant le rapport entre le niveau de bruit et le niveau auquel les mots ou les phrases sont prononcées, si le patient maintient des performances de compréhension satisfaisantes." Coté solutions, l'éventail est large : le port de prothèses auditives numériques, mais aussi, "en cas d’hyperacousie, des protections auditives comme des filtres portés à l’intérieur de l’oreille et qui sont moulés après avoir pris une empreinte du conduit auditif externe. Enfin, pour les troubles de l’attention, il existe des applications permettant de s’entrainer à entendre dans le bruit ou encore des techniques de relaxation."
Prendre en compte la dimension humaine
Si des solutions existent sur le plan individuel, qu’en est-il au niveau collectif pour réduire les sources de pollution sonores ? C’est le travail de Franck Fumey, fondateur de Continuum en 2015. Basée à Corbas en région lyonnaise, cette entreprise s’est spécialisée dans la fabrication de panneaux acoustiques sur mesure. Mais l’approche va au-delà de l’aspect technique : "Le cœur de notre démarche c’est vraiment la dimension humaine." avance cet ancien ingénieur des Arts et Métiers. "C’est donc comprendre comment un bruit se propage dans l’espace, mais aussi sur qui l’habite, comment est bâtie l’organisation, quel ressenti. L’objectif final, c'est vraiment de faire en sorte que l'atmosphère soit la plus équilibrée possible pour que les gens n'aient plus du tout envie de parler fort ou de s’agresser sans le vouloir et donc une communauté qui soit plus apaisée."
L'exemple de Notre Dame de Mongré
Crèches, écoles, agences bancaires, hôpitaux, salles de sport, autant de lieux source de bruit et pour lesquelles l’entreprise est intervenue. Exemple à Notre Dame de Mongré, un groupe scolaire privé situé à Villefranche-sur- Saône et qui comprend plus de deux mille élèves de la maternelle au Bac. Depuis quinze ans, l’établissement s’est lancé dans une phase de rénovation, comprenant notamment l’acoustique.
Visé : les salles de classe dans un bâtiment datant du 19esiècle, où les hauteurs sous plafond entretenaient un écho désagréable : "Une réverbération sonore supérieure à une seconde !" explique le gestionnaire Vincent Claire, d’où "une perte d’intelligibilité pour les élèves et les enseignants, avec une fatigue auditive." Des aménagements acoustiques adaptés ont permis de résoudre ce problème. Un chantier étendu également aux restaurants scolaires, qui pouvaient atteindre 90 db (soit le bruit d'une tondeuse à gazon ndlr). "Un soulagement pour tout le personnel" souligne le responsable. Et qui a eu son coût : 2500 € par classe. Mais "un investissement à long terme" pour continuer à bien s’entendre !
Prévenir le plus tôt possible
Le coût justement : 147 milliards, dont plus de 21 à cause du travail. C’est le montant des conséquences sociales des nuisances auditives selon une étude menée en 2021 par l’Ademe et le Conseil National du bruit. Le gouvernement ferait –il la sourde oreille sur cet enjeu de santé publique ? "Il y a eu du positif, comme le remboursement intégral des prothèses auditives de classe 1 depuis la réforme 100 % santé en 2018."rappelle le Pr Thaï Van, qui insiste pourtant sur une prévention de plus en plus précoce "pour préserver ce capital auditif". Sans oublier "le lien social" rajoute Franck Fumey. "Car les gens qui ont des problèmes d’audition se retrouvent très souvent isolés et là, il y a des choses à faire."
En attendant, un dernier conseil quand on travaille dans un environnement bruyant: ne pas dépasser un niveau moyen de 60 db et faire une pause toutes les heures. A bon entendeur ..
Pour en savoir plus : 10e édition de la Semaine de la Santé Auditive au Travail, du 3 au 8 novembre. Toutes les infos et kits de prévention à commander sur le site de l'Ana, Association nationale de l'audition : https://association-nationale-audition.org/


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