Y a-t-il eu des failles dans le suivi judiciaire du meurtrier présumé du féminicide à Mérignac ?
Y a-t-il eu des failles dans le suivi du meurtrier présumé d’une maman de 3 enfants il y a une semaine à Mérignac ? On doit connaître ce mardi les conclusions d’une mission d’inspection lancée par le gouvernement. Elle doit évaluer les conditions de remise en liberté et le suivi de l’homme accusé d’avoir immolé sa femme par le feu en pleine rue près de Bordeaux.
"C’était chronique d’un féminicide annoncé"
Ce féminicide en rappelle tristement un autre dans la tête de Sandrine Bouchait. Celui de sa sœur, Ghylaine, brûlée vive par son mari en 2017. Un mode opératoire similaire au meurtre de Mérignac. La maman de 31 ans a été immolée par le feu par son conjoint, qui lui avait tiré sur les jambes avant pour l’immobiliser. Il venait de purger une peine de 5 mois de prison, harcelait de nouveau cette femme malgré son sursis. Et une nouvelle plainte avait été déposée contre lui en mars. Pour Sandrine Bouchait, désormais présidente de l’Union nationale des familles de féminicides, tout aurait dû permettre d’éviter ce meurtre sordide. "Je suis très en colère parce que ce féminicide aurait pu vraiment être évité mais on n’a vraiment pas pris la mesure du danger de monsieur. Monsieur est multi-récidiviste, au moins de mars, madame va porter plainte, on lui dit que monsieur est introuvable. Comment on met rien en place pour protéger madame ? C’était chronique d’un féminicide annoncé", regrette-t-elle.
Parmi les failles pointées du doigt par les associations, l'absence de bracelet anti rapprochement (BAR) qui permet d'alerter la police quand le conjoint violent s'approche de la victime. Il existe aussi les téléphones grave danger qui permettent aux victimes de violence de prévenir les policiers grâce à un bouton. Mais pour Ludovic Friat, c’est bien plus compliqué que cela. "La technologie ne remplacera jamais les moyens humains. Tant qu’on aura des conseillers pénitentiares d'insertion et de probation qui sont en charge de 120 mesures, vous ne pouvez pas voir la personne tous les mois. Si vous avez des téléphones grave danger ou des bracelets anti rapprochement qui sonnent trop souvent parfois pour rien, le risque c’est que la quatrième fois, les gens la prennent moins au sérieux", explique le secrétaire général de l’Union syndicale des magistrats. Aujourd’hui, il existe 1000 bracelets anti-rapprochement en France. Seulement 76 ont été prescrits et 45 hommes en sont équipés selon le ministère de la Justice.
Un autre fait qui interroge est le fait que le meurtrier présumé, sous contrôle judiciaire au moment des faits, avait une arme. "Dans le cadre des mesures de procédures judiciaires, on peut interdire le détenu de détenir une arme. Mais ça n'empêche pas la personne de récupérer une arme auprès de proches ou sur le marché noir", avance Ludovic Friat.
Un manque d'effectifs et de formation
Tous les corps de métiers de la justice sont contraints par des moyens financiers limités. Les conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation (CPIP) travaillent à aider les détenus à se préparer à la sortie, veillent au maintien des liens familiaux, et aux problématiques sociales. Mais souvent, un conseiller suit de nombreux détenus. "C’est 90 à 120 personnes suivies pour un CPIP en milieu ouvert. On ne peut pas assurer un suivi complet de toutes les personnes. On se sent visés dans cette affaire alors qu’en même temps, le reste du temps, on alerte sur des choses et on n’est jamais écouté. Les services du parquet ou d’application des peines ne sont pas mieux lotis que les SPIP [services pénitentiaires d'insertion et de probation, NDLR]. On est plus habitué à gérer l’urgence plutôt qu’à travailler sur le fond", déplore Benjamin Bons, conseiller pénitentiaire d’insertion et de probation et secrétaire local pour la CGT en Normandie.
Plus qu’une mission d’inspection, ce que souhaitent certains, c’est une justice spécialisée, un pan entier de la justice dédié aux violences faites aux femmes et aux féminicides. C’est ce que demande maître Emmanuelle Rivier. "Il y a déjà eu des missions d’inspection et derrière c’est des circulaires à budget égal. Cela ne change rien, on butte toujours sur la même question. Il faut que ces personnes soient recrutées sur la base du volontariat, formées plus de trois heures. En espagne c'est huit mois. Il y a un manque d’effectif et de formation", estime cette avocate à Paris spécialisée dans les violences conjugales, également conseillère déléguée au maire du 20è arrondissement en charge de l'égalité femmes-hommes et de la lutte contre les violences faites aux femmes.
Si vous êtes victime de violences, vous pouvez appeler le 3919, numéro gratuit et anonyme.
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