Une enquête sur le Christ du plateau d'Assy
L'Eglise Notre-Dame-de-Toute-Grâce, au plateau d'Assy, est un édifice clé du renouveau de l'Art sacré au XXème siècle. Elle a été décorée par tant d'artistes mondialement reconnus (et pas tous chrétiens !) : Marc Chagall, Jean Lurçat, Henri Matisse, Georges Rouault, etc. On oublie souvent aujourd'hui la cabale suscitée par le Christ, commandée pour le chœur de l'église : la sculpture de Germaine Richier. La petite nièce de l'artiste, Laurence Durieu, s'est penchée sur l'histoire atypique de cette œuvre, bannie pendant dix-huit ans du chœur de son église.
Germaine Richier et le Christ d'Assy ©Laurence Durieu RCF : Laurence Durieu, vous publiez ce mois d'avril 2025, un livre consacré à ce Christ de Germaine Richier aux éditions Fage. Pourquoi un focus sur cette sculpture en particulier ?
Laurence Durieu : C'est son histoire si singulière qui m'a donné envie d'en parler. Germaine Richier est la seule femme à qui l'Eglise a commandé un Christ. Elle est restée meurtrie par la cabale qui a suivi, même si elle en parlait peu. C'était un tabou dans la famille et elle s'est peu défendue publiquement. J'ai voulu mettre en lumière le scandale suscité par ce Christ mais aussi, à mon sens, le scandale qu'a constitué cette cabale. Enfin, c'était l'occasion de parler de cette œuvre magnifique : que l'on ait la foi ou pas, elle nous touche forcément.
Les archives vaticanes me sont restées fermées
RCF : Quelles difficultés et quelles joies, dans ce travail d'enquête ?
Laurence Durieu : Les difficultés étaient de recouper les faits, alors que les archives vaticanes me sont restées fermées. Mais en revanche, j'ai eu la joie de trouver de belles pièces dans les archives du diocèse d'Annecy ! La lettre de l'ambassadeur du Vatican à Paris, qui dénonçait l'œuvre, notamment. Ou encore des éléments me permettant de dater l'unique photo de Germaine Richier avec sa sculpture.
Les questions du blasphème et les questions sur l'art et sa réception semblent éternelles !
RCF : Tant de violence dans les critiques, que l'on voit dans les articles de presse de l'époque. Le Christ a été banni du chœur pendant 18 ans. Et pourtant, récemment, ce Christ a été consacré lors d'une exposition sur Germaine Richier au musée Beaubourg. De quoi méditer sur l'art et sa réception !
Laurence Durieu : Un Christ effectivement consacré, banni puis célébré dans l'un des plus grands musées du monde. Les questions du blasphème et les questions sur l'art et sa réception semblent éternelles ! Je note que tous ceux qui l'ont attaqué de manière si virulente ne l'avaient vu que sur photos ! Il a été défendu par des esprits éclairés et il a toujours été aimé par les paroissiens d'Assy. D'ailleurs, ils ont réclamé son retour dans le chœur de l'Eglise. Les pères dominicains avaient soumis à Germaine Richier, comme source d'inspiration, une prophétie où il est question de terre aride... Je crois que le renouveau de l'art sacré dans les années 1950 s'est aussi déroulé dans une certaine terre aride.
