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Tatev - Le Puy en Velay : Quelles collaborations imaginer avec ce territoire aux portes de la guerre ?

Tatev - Le Puy en Velay : Quelles collaborations imaginer avec ce territoire aux portes de la guerre ?

Un article rédigé par Stéphane Longin - le 6 juin 2025 - Modifié le 25 juin 2025

Magnifique, splendide, saisissant… les qualificatifs ne manquent pas pour décrire le monastère de Tatev. Mais derrière la carte postale, le quotidien des habitants de la ville liée au Puy-en-Velay par un accord de coopération décentralisée est très éloigné de celui des Ponots. Au point de se demander ce qui peut nous unir ?

Une famille du village de Khot en Arménie @RCF 2025Une famille du village de Khot en Arménie @RCF 2025

La guerre à seulement 1 km


Des dizaines de coups de feu, c’est ce qu’entendent régulièrement les habitants de Khot une fois la nuit tombée. Ce village de 850 habitants fait partie de la commune de Tatev, dans la province arménienne du Syunik. Il y a encore quelques années, il était impossible de voir les drapeaux azéris depuis le haut des montagnes où sont construites les habitations. Aujourd’hui, « il suffit de faire une centaine de mètres » pour les voir flotter, m’explique Martidos Grigoryan, le chef du village. La frontière avec l’Azerbaïdjan, qui a envahi le Haut-Karabagh en 2023, n’est plus qu’à 1 km à vol d’oiseau. Une situation qui place la population en première ligne pour l’accueil des déplacés. Onze familles, soit près de 40 personnes, ont été accueillies « à bras ouverts », m’assure le chef du village, et me confirme Lucini, maman de cinq enfants qui a perdu son mari dans les combats : « J’ai quitté ma maison dans une petite voiture, nous étions huit à l’intérieur, serrés comme des sardines. Mais elle est tombée en panne et nous avons dû fuir à pied. Arrivée à Goris, on m’a prise en charge et on m’a donné un logement à Khot, ainsi que de quoi m’occuper de mes enfants. »

Une aide d’urgence a été organisée par les autorités locales : « Nous avons listé les maisons vides et les familles prêtes à accueillir les déplacés. Nous avons récupéré des vivres et des vêtements pour leur donner ce dont ils avaient besoin afin qu’ils se sentent ici comme chez eux », explique simplement Martidos Grigoryan, un peu étonné de mes questions sur la réaction des habitants « historiques » du village.

Lucini, une "déplacée" du Haut Karabagh avec l'une de ses filles @RCF 2025

Un accueil fraternel qui permet à Lucini et à ses enfants de se reconstruire. La jeune maman tente de tourner la page : « Je veux être dans l’espérance… », même si les larmes ne sont pas très loin lorsqu’elle évoque le Haut-Karabagh : « C’est difficile de perdre sa maison, sa terre, ses amis… mais le plus dur, c’est de ne plus pouvoir me recueillir sur la tombe de mon mari et de mes proches. » Elle serre fort la main de sa fille et me quitte en me remerciant chaleureusement de « parler de son histoire ».

Finalement, c’est la voix joyeuse d’une jeune fille pleine d’entrain qui m’interpelle. Elle est en train de discuter avec Fabrice Pannekoucke, le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes, en déplacement dans la région du Syunik avec laquelle la collectivité a engagé un rapprochement en 2023. « De quoi as-tu besoin ? » lui demande l’élu. « D’une aire de jeu », lui répond-elle sans attendre. Les deux se tapent dans la main avec un grand sourire, comme on le ferait pour valider un pari avec un ami (lire « Mission Arménie : la promesse du président »).

Le chef du village de Khot, commune de Tatev en juin 2025 @RCF

Continuer à vivre… malgré tout


En attendant les toboggans et autres terrains de sport promis par le président de région, Khot ne manque pas de projets. Une nouvelle école est en construction. Elle devrait accueillir les 190 élèves du village d’ici fin 2026 et leur offrir de meilleures conditions d’enseignement.

En quittant le chantier, je vois aussi qu’une maison est en construction, signe que malgré la proximité de la menace azérie, les habitants veulent croire en l’avenir. « Nous devons rester optimistes et continuer à vivre ! Pour nous et pour nos enfants », me dit Martidos en posant le regard au loin. Il me tend la main, la serre chaleureusement et me remercie lui aussi.

Touché par ses mots et le symbole que cela représente, je m’approche du chantier de la maison. Mon téléphone à la main, je tente de prendre une photo qui pourrait exprimer le plus justement possible ce qui se vit ici. Soudain, une voix d’homme : je ne comprends rien, mais je comprends qu’il nous invite, avec Arman notre interprète et deux autres journalistes, à visiter sa maison faite de briques et de broc. Il y vit avec sa femme, ses trois enfants et ses parents ou beaux-parents. « Regardez ! Je vis ici dans des conditions très dangereuses, ça a failli brûler car ça coûte trop cher de mettre la maison aux normes », poursuit-il. « La vie est dure, je suis maçon mais je suis malade pour l’instant. Alors on vit avec une vache que je fais paître et les légumes du jardin », visiblement plus désolé pour ses filles et son fils que pour lui-même. Avant de partir, il nous propose de partager un café et de manger quelques fruits. « On refuse… », ordonne Jeannine, une journaliste spécialiste de l’Arménie, « ce que nous aurions goûté, les enfants ne l’auraient pas eu pour eux. »

Une famille du village de Khot @RCF 2025

Coopération Tatev-Le Puy : mais alors, que faire ?


Dans la voiture qui me ramène à Goris, je me demande alors ce qui peut bien unir les habitants du Puy-en-Velay et ceux de Tatev, avec qui la cité ponote est liée par un partenariat signé en novembre 2024. Et plus particulièrement ceux de Khot, impactés par le conflit.
Ça tombe bien, Michel Chapuis, le maire du Puy, est lui aussi à Goris avec deux adjointes pour participer aux assises franco-arméniennes de la coopération décentralisée. Entre deux discours, on échange librement et il semble partager mon désarroi : « Que faire ? Comment les aider ? », me demande l’élu, comme si je lui reprochais de ne pas en faire assez. « Il faudrait des moyens importants… mais je n’ai pas l’argent nécessaire », s’excuse presque Michel Chapuis. 

Michel Chapuis et les élues du Puy en Velay avec le maire de Tatev @RCF 2025

Même discours pour Catherine Chalaye et Brigitte Benat, deux élues de la citée ponote qui étaient en Arménie et ont prolongé le déplacement par une immersion de deux jours avec les représentants de Tatev. Elles avouent avoir été frappées par l'instabilité que subissent les habitants "que leur situation peut évoluer du jour au lendemain. Que la guerre peut tout changer en un claquement de doigt". Au point de, pour elles aussi, se retrouver dans une situation inédite, loin des relations tissées avec les villes jumelles du Puy en Velay, "difficile de savoir quoi faire" explique Catherine Chalaye avant d'évoquer quelques pistes "on va essayer de fédérer les arméniens du territoire pour mieux faire connaître la situation de l'Arménie. Ou encore prendre un abonnement à la revue Les nouvelles d'Arménie à la bibliothèque et s'engager à accueillir des jeunes du Syunik pour les aider à apprendre le français". Une action sur laquelle la ville est déjà engagée. Elle a  accueilli Victoria en avril et mai 2025 pour un stage de 7 semaines à la mairie. L'étudiante originaire du Syunik et en formation supérieure à l’UFAR, l’Université Française en Arménie et l'expérience devrait être renouvelée en 2026 avec l'accueil de deux autres jeunes femmes en Haute-Loire.

Peu importe de ne pas avoir tous les plaisirs du monde... Nous voulons surtout la paix

Dérisoire ? « Pas du tout ! » m’explique Thierry Kovacs, maire de Vienne en Isère, dont la commune fait figure de précurseur puisqu’elle est jumelée avec Goris depuis plus de 30 ans. « Montrer que la France est là, à leurs côtés, ce n’est pas que symbolique », m’assure l’élu. Je repense alors à ce que m’a dit Martiro Grégoryan, le chef du village de Khot : « Nous savons que le monde entier parle du Syunik. Les déclarations des États-Unis, de la Russie, de l’Europe montrent que le Syunik est au cœur des discussions. Mais si nos terres sont au cœur des discussions, c’est qu’elles sont aussi au cœur des grandes menaces. Alors peu importe de ne pas avoir tous les plaisirs du monde… Nous voulons surtout la paix. »

Laurent Wauquiez à Tatev en 2023 @RCF 2023

A l'initiative du partenariat renforcé entre la Région Auvergne Rhône Alpes et la région du Syunik, Laurent Wauquiez n'était pas en Arménie au printemps 2025. Mais nous l'avons sollicité pour évoquer ce rapprochement. Le député de Haute-Loire, conseiller spécial à la Région AURA parle de "l'une des causes qui [lui] tient le plus à coeur et qui [le] touche le plus" et explique que ce  jumelage "n'est vraiment pas comme les autres". A la question comment les aider ? Laurent Wauquiez parle de formation avec un rapprochement avec le CFA de Bains, de santé avec un engagement à "imaginer" avec l'hôpital Emile Roux et de développement économique à travers la mise en valeur du patrimoine de Tatev.

Une habitante du Haut Karabagh déplacée dans le village de KhotUne habitante du Haut Karabagh déplacée dans le village de Khot
Martidos Grygorian, le chef du village de KhotMartidos Grygorian, le chef du village de Khot
Un père de famille dans la chambre où il dort avec sa femme et ses trois enfantsUn père de famille dans la chambre où il dort avec sa femme et ses trois enfants
Tableau représentant la Vierge à l'enfant dans une maison du village de KhotTableau représentant la Vierge à l'enfant dans une maison du village de Khot
Une maison en construction dans le village de Khot en ArménieUne maison en construction dans le village de Khot en Arménie
Fabrice Panneckouke, le président de la Région Auvergne Rhône Alpes à la rencontre des habitants de KhotFabrice Panneckouke, le président de la Région Auvergne Rhône Alpes à la rencontre des habitants de Khot
Ce sont essentiellement les femmes qui sont venues à la rencontre des élus françaisCe sont essentiellement les femmes qui sont venues à la rencontre des élus français
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