Finistère
Après la chute de Bachar al Assad, les Syriens sont partagés entre soulagement et inquiétudes. Dimanche, les rebelles islamistes radicaux du HTS ont mis fin à une dictature sanguinaire et sans partage. Leur offensive a été fulgurante et cet effondrement rapide du régime syrien s'explique par de nombreux facteurs.
En 12 jours, ce n’est pas seulement Bachar Al Assad, c’est une dictature d’un demi-siècle qui a disparu. Le clan Assad était au pouvoir depuis les années 70. Depuis 2011 et le début de la guerre civile, la répression de Bachar al Assad a fait près de 600 000 morts et 100 000 disparus.
Les rebelles islamiste du Hayat Tahrir al-Sham (HTS) ont conduit leur offensive depuis la poche d’Idlib qu’ils contrôlaient au nord-ouest du pays. La ville d'Alep puis Hama, Homs et Damas sont tombées comme des dominos. La rapidité de la chute d’Assad peut surprendre. Mais le régime était en fait très précaire et fragilisé un peu plus par les profonds changements en cours dans la région. "En 13 ans de guerre civile, Assad est resté debout parce que ses deux parrains, l'Iran et la Russie le soutenaient. Mais brutalement, les choses ont changé depuis la réplique israélienne au 7 octobre 2023. Le Hamas a été brisé, puis le Hezbollah a été décapité", analyse Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes.
Pour les mêmes raisons Fabrice Balanche, géographe, enseignant à l’université Lyon 2 et spécialiste de la Syrie n’a pas été étonné par cet effondrement : "Les Israéliens avaient changé de position à l’égard d’Assad parce qu’il avait permis à l'Iran de s'installer en Syrie et de reconstituer le stock d'armes du Hezbollah. À partir de là, l'affaiblissement du Hezbollah au Liban, le bombardement systématique des infrastructures iraniennes en Syrie, allait priver Assad des 50 000 hommes fournis par l’Iran. Le roi était nu !".
L’Iran et la Russie avaient sauvé la mise d’Assad en 2015. Mais embourbé dans la guerre en Ukraine la Russie n’avait cette fois pas les moyens de s’engager à nouveau. Sans ses soutiens habituels, l’armée syrienne n’avait donc aucune chance. "C'est une armée de clochards. Ce n’était pas une armée qui avait envie de se battre" souligne Fabrice Balanche. "L'armée syrienne a été saignée à blanc par 13 ans de guerre. Ceux qui restaient n'ont pas eu envie de subir le même sort pour 10 dollars par mois".
Par ailleurs, le HTS a reçu le soutien de la Turquie où sont installé plus de 3 millions de réfugiés syriens. Le président turc Erdogan profite de ce contexte pour dérouler son propre agenda. "La Turquie est très impliquée, même si on ne voit pas des soldats ou des officiers turcs sur le terrain" rappelle Antoine Basbous.
Maintenant, qu’Assad a fui à Moscou, le leader du HTS, Al Joulani s'affiche en homme d'état. Il prône une transition pacifique. Il se présente à la télévision et sur les réseaux sociaux comme un modéré. Mais à la base, c'est un djihadiste issu d’Al Qaïda, fondateur du front Al Nostra, longtemps en rivalité avec l'ancien chef de Daesh Al Baghdadi. Hayat Tahrir al-Sham a rompu avec Al Qaïda en 2016, mais le groupe est toujours considéré comme terroriste par de nombreux pays.
"C’est une façade l’idéologie reste la même, mais Al Joulani a appris les erreurs de Baghdadi, pas d'exécution publique, pas de rigorisme au point d'interdire la cigarette et la musique, mais application de la charia, totalitarisme islamique, élimination des opposants, laïcs ou islamistes modérés" rappelle Fabrice Balanche. Depuis sa victoire, le HTS donne des gages de bienveillance vis-à-vis des minorités notamment chrétiennes, mais ils sont nombreux sur place à être inquiets de l’avenir.
Le HTS a été rejoint par d’autres groupes armés pour vaincre Bachar Al Assad. Maintenant, que l'objectif est atteint s'ouvre une séquence incertaine. "Al Joulani n'a pas mené toute l'offensive tout seul. Il n'est pas un maître absolu. Il va falloir qu'il négocie avec ses partenaires, et qu'il constitue une coalition, à moins de vouloir créer un gouvernement autoritaire pour succéder à un gouvernement dictatorial" indique Antoine Basbous.
Un scénario hante la communauté internationale celui de l’Irak post-Saddam Hussein ou de la Libye après Kadhafi. 30 % de la Syrie est contrôlée par les Kurdes. Ils pourraient devenir rapidement la cible du HTS et ses alliés. Les Etats-Unis ont mené dernièrement des frappes préventives sur des dizaines de positions de Daesh encore très présent dans le pays. Israël, de son côté, a frappé mardi 350 cibles de l’armée syrienne pour éviter que de l’armement ne soit dispersé.
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