Sous la discipline budgétaire, la fracture sociale italienne
Alors que la France s'enfonce dans la dette, l'Italie force l'admiration en redressant ses dépenses publiques. L'Italie a divisé par deux ses déficits publics, de 7,2 % à 3,8 % du PIB entre 2023 et 2024. Est-ce le résultat d’un miracle économique de Giorgia Meloni ou d’une forte rigueur budgétaire ?
Éléments de réponse avec Ludmila Acone, historienne et chercheuse associée à l’université Paris 1, spécialiste de l’Italie contemporaine.
- Les 26 et 27 octobre 2023, Ursula von der Leyen, presidente de la Commission europeenne, participe a la reunion du Conseil europeen. © pool union européenne / Hans lucasTrois ans après son ascension à la tête du Conseil des ministres, les résultats des politiques portées par Giorgia Meloni nous interpellent. Derrière ces chiffres se cache une rigueur budgétaire, avec par exemple la suppression du revenu de citoyenneté pour les personnes jugées aptes au travail, abaissant de 1,7 milliard d'euros les dépenses sociales, ou encore la réduction du superbonus pour la rénovation énergétique, d'un coût de 160 milliards d'euros, qui a allégé la charge budgétaire de plus de 40 milliards d'euros.
Une précarisation de la population italienne
Le dernier rapport Caritas mettait en avant que près de 6 millions d’Italiens étaient en situation de pauvreté absolue, sans aucun filet social. “Une société ne peut pas avancer dans ces conditions-là”, déplore Ludmila Acone. L’Italie ne dispose notamment pas, contrairement à la France, de minima sociaux. Ces prestations sociales, versées sous condition d’avoir un revenu inférieur à celui déterminé par la loi, permettent de bénéficier d’aides et d’éviter de sombrer dans une situation de pauvreté absolue. “Ça a sauvé des millions de personnes” en France, rappelle l’historienne.
Ils ne peuvent pas avoir le moindre projet dans leur vie.
Lorsque l’on élargit un peu plus le cercle, la situation de précarité touche une dizaine de millions d’Italiens. “Ils ne peuvent pas avoir le moindre projet dans leur vie.” Cela impacte notamment la natalité, le second point noir de la politique de Giorgia Meloni. Sans une situation financière suffisamment stable, les jeunes Italiens ne peuvent pas quitter le domicile parental et ne peuvent, par conséquent, pas construire leur propre foyer.
Les étudiants sont en première ligne sur la question de la précarité. “Un jeune qui veut faire des études est dans une situation vraiment dramatique parce que soit il travaille, soit il fait des études”, déplore la spécialiste de l’Italie contemporaine.
Une baisse de la production industrielle
Parmi les principales économies européennes, la baisse de la production industrielle en 2024 a surtout concerné l’Italie et l’Allemagne, et n’a touché que marginalement la France. Ludmila Acone y voit un lien direct avec la dépendance énergétique de l’Italie, notamment en matière d’énergie nucléaire, contrairement à la France. “L'Italie et l'Allemagne, ce sont deux pays qui ont été très pénalisés par les conséquences de la guerre entre la Russie et l'Ukraine.”
Il y a une porosité, y compris économique, de main-d'œuvre. Il y a une désindustrialisation très importante, et aussi une baisse des exportations, notamment d’un quart vis-à-vis des États-Unis depuis le mois d'août.
Le second problème se trouve dans la dépendance de l’industrie italienne vis-à-vis de l’industrie allemande. Or, celle-ci étant actuellement en déclin, sa situation économique impacte directement l’industrie italienne. “Il y a une porosité, y compris économique, de main-d'œuvre. Il y a une désindustrialisation très importante, et aussi une baisse des exportations, notamment d’un quart vis-à-vis des États-Unis depuis le mois d'août.”
La fuite des cerveaux
Depuis la pandémie de Covid-19, le nombre d’Italiens diplômés vivant à l’étranger est passé de 100 000 en 2000 à près de 500 000 en 2024. La fuite avait déjà commencé lors des gouvernements précédents, rappelle Ludmila Acone, mais elle s’est renforcée. Les conditions économiques et d'accès aux études sont en déclin depuis, notamment, la fameuse réforme de la Buona Scuola en 2015, qui, selon l’historienne, n’a pas permis de répondre à la situation de précarité de nombreux étudiants. “Les Italiens qui ont des capacités voient bien qu'ils n'ont pas la possibilité de réussir.”
Le patronat italien crie à cor et à cri, il demande de la main-d'œuvre. Ils se plaignent, ils disent : ce n'est pas possible, ça ne peut pas continuer comme ça
Le second problème que rencontre l’économie italienne est le déclin démographique. Pour la première fois depuis son élection, Giorgia Meloni a présenté un décret prévoyant l'accueil de près de 500 000 travailleurs immigrés non européens, pour fournir à l'économie italienne la main-d'œuvre indispensable au système économique et productif national, autrement indisponible. “Le patronat italien crie à cor et à cri, il demande de la main-d'œuvre. Ils se plaignent, ils disent : ce n'est pas possible, ça ne peut pas continuer comme ça”, rapporte Ludmila Acone. Sans investissement dans l’appareil de production et dans des projets de développement, le taux de pauvreté ne pourra pas diminuer.


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