Simon de Monicault | Le singulier destin du portrait qui pousse à la folie
Fasciné depuis son enfance par un énigmatique portrait attribué à Rembrandt conservé au musée de Draguigan, un jeune Varois vit une relation tellement passionnelle avec cette œuvre qu’il décide, en 1999, de la voler. Le sujet de l’œuvre - la fragilité de la vie - fait presque écho à la difficulté de protéger les musées et leurs trésors.
© DRUn jour de 1983, la mère d’un certain Patrick conduit son fils au musée de Draguignan. C’est un véritable
coup de foudre qu’il éprouve alors pour un énigmatique portrait, « L’Enfant à la bulle de savon » attribué à
Rembrandt. On y découvre, dans la pénombre, un garçon richement vêtu, tenant une bulle de savon. Cette
bulle de savon, merveilleuse mais si vulnérable, qui évoque la fragilité et la brièveté de la vie.
Quelques années plus tard, lorsqu’il revoit ce tableau, Patrick éprouve des sentiments encore plus forts.
Les psychologues et les psychiatres auraient sûrement beaucoup à dire sur la relation entre ce jeune
homme et ce tableau. Le portrait devient pour lui un véritable ami. Il se confie régulièrement à lui, en lui
parlant doucement, comme lorsque Don Camillo s’adresse à Dieu précise-t-il.
Le rapt du portrait
La relation devient tellement passionnelle et obsédante qu’il décide de voler l’œuvre, en 1999. Il se teint les
cheveux pour ne pas être reconnu. Il achète des chaussures trop grandes pour tromper sur la pointure du
voleur. Le jour J, il entre comme simple visiteur dans le musée. Il se cache dans une grande armoire
normande et attend la fermeture du musée et le départ de son directeur. Ce dernier travaille tard ce soir-là ;
l’attente est interminable. Le voleur peut enfin sortir de sa cachette, s’attaquer au système d’alarme et
décrocher l’œuvre. Il le fait à 22h50 précises, pour profiter du vacarme ambiant lié aux festivités du 14
juillet.
Un portait faussement léger
Le sujet du portait volé est un thème récurrent dans l’histoire de l’art. De Chardin à Monet, nombreux sont
les peintres qui se sont attaqués à ce sujet. Ce dernier dérive des mots de Varron, au IIe siècle avant J.C..
« Quod, ut dicitur, si est homo bulla, eo magis senex » (« Si l’on dit qu’un homme est une bulle, combien
plus l’est un vieillard »). Popularisée par Erasme quelques seize siècles plus tard, l’image de la bulle est
une représentation particulièrement frappante de la fragilité de notre vie. Mais aussi de celle de l’amitié, de
l’amour, de la foi.
Une relation clandestine
Le vol du portait n’apaise guère le voleur. Durant quinze ans, il mène une « relation clandestine » avec le
portrait, pour reprendre ses mots. Il va cacher à ses proches son terrible secret. Il déplace l’œuvre de
cachette en cachette. Mais ce drame le consume. Le portrait est finalement récupéré de façon
rocambolesque, le voleur ayant espéré pouvoir restituer l’œuvre contre un versement significatif de
l’assurance.
Ultime rebondissement, le tableau est expertisé. Ce n’est pas un Rembrandt, estimé des millions d’euros,
mais un honorable portrait du XVIIIe siècle, dont la valeur est modeste. Le voleur s’éteint peu de temps
après le retour de l’œuvre. Le destin dramatique d’un homme qui aura aussi mal vécu la présence que
l’absence de cet énigmatique portrait.


Chaque mardi à 8h45, Guillaume Goubert et Simon de Monicault présentent une exposition ou un événement qui raconte l'histoire de l'art.




