René Greindl : itinéraire d’un résistant
À première vue, René Greindl apparaît comme une figure déroutante, presque paradoxale. Issu d’une famille belge en vue, promis très tôt à une carrière brillante, il traverse la Seconde Guerre mondiale entre adhésion à un ordre autoritaire et refus résolu de la collaboration. Gouverneur ad interim du Luxembourg de 1940 à 1943, il finit ses jours au camp de concentration de Buchenwald, où il meurt en février 1945, à 47 ans.
©René GreindlNé en 1898, René Greindl grandit dans un milieu où le service de l’État est presque un devoir moral. Plusieurs membres de sa famille occupent des postes prestigieux dans l’armée et l’administration. Volontaire pendant la Première Guerre mondiale, le jeune homme choisit cependant la voie civile après 1918. En 1921, il devient ingénieur civil diplômé de l’Université libre de Bruxelles et travaille plusieurs années pour des entreprises privées à l’étranger.
Mais son véritable terrain, il le trouve en Belgique. En 1933, il entre dans l’administration comme commissaire d’arrondissement à Saint-Vith. Sa maîtrise de l’allemand, ses réseaux familiaux, son profil catholique en font un candidat idéal pour cette région sensible des Cantons de l’Est, où il observe de près la montée du national-socialisme. En 1937, il est nommé à Bastogne. Sous-lieutenant de réserve chez les chasseurs ardennais, il participe à la campagne des Dix-huit jours en mai 1940.
Le 10 juin 1940, les autorités allemandes lui permettent de rentrer à Bruxelles. Quelques semaines plus tard, elles lui confient la gestion du ravitaillement dans le Luxembourg. Le 21 juillet, lors du Te Deum de Bastogne, il affirme croire en la victoire allemande. Il deviendra ensuite gouverneur ad interim de la province.
Un haut fonctionnaire en guerre
En 1941, il écrit encore à la Feldkommandantur pour confirmer sa loyauté et affirmer qu’il continuera à diffuser l’idée d’une victoire allemande inévitable.
Mais, en président minutieux, attaché à la légalité belge, Greindl se heurte rapidement aux dérives du régime d’occupation. Dès 1941, il exprime son désaccord face à l’influence grandissante de Rex et s’oppose à des nominations trop radicales. Il rejette fermement l’ordonnance allemande contre le vieillissement de mars 1941. Lorsqu’on impose Lucien Eichhorn (collaborateur notoire) à la tête de la ville d’Arlon, il proteste… en vain.
L’homme se raidit encore en 1942, lorsque les commissaires d’arrondissement et plusieurs chefs de service sont remplacés par des rexistes. Il menace même de démissionner. L’introduction du travail obligatoire en Allemagne, en octobre 1942, est pour lui un point de rupture. Lorsqu’il reçoit l’ordre de priver les réfractaires de leurs tickets de ravitaillement, il s’y oppose frontalement. Le 31 janvier 1943, il interdit aux bourgmestres de la province d’appliquer la directive. Le 9 avril, il refuse un ordre direct de l’Oberfeldkommandantur de Liège.
Il semble clair qu’il cherche alors à provoquer son renvoi : un moyen de sortir d’une fonction devenue intenable. En décembre 1943, les Allemands lui interdisent effectivement d’exercer.
La bascule dans l’ombre
À partir de 1944, Greindl n’est plus seulement un opposant administratif : il devient un homme traqué. Ses fils adolescents rejoignent l’Armée secrète. Sa famille cache des personnes recherchées, dont un Juif selon un témoin. Les services allemands le surveillent de près.
Le 7 septembre 1944 il est arrêté lors d’un contrôle. L’un de ses fils témoignera plus tard qu’il effectuait une mission de liaison pour la Résistance. Greindl est transféré de prison en prison avant d’être déporté à Buchenwald, où il arrive le 17 janvier 1945. Il y meurt le 21 février. Officiellement d’une crise cardiaque. D’autres témoignages, dont celui relayé par David Rousset dans « L’Univers concentrationnaire », évoquent une injection de cyanure administrée par des communistes du camp... Faute de corps, la vérité n’a jamais pu être établie.
Une mémoire difficile : condamnation et reconnaissance posthume
Après la Libération, une enquête judiciaire est ouverte en Belgique sur son rôle pendant l’Occupation. Elle est classée sans suite à la confirmation de sa mort. Une demande de reconnaissance comme prisonnier politique est déposée. Elle retient trois éléments en sa faveur : son opposition au « coup d’État rexiste » de 1941-42, son soutien à un groupe clandestin de chasseurs ardennais en 1941, qui formera le noyau de la future Armée secrète, et son attitude courageuse en captivité.
Le 20 novembre 1951, René Greindl est reconnu comme prisonnier politique à titre posthume. Sur le monument aux morts de Bastogne, son nom apparait.
Un homme de son temps
René Greindl appartient à cette génération prise dans l’étau de 1940 : celle de hauts fonctionnaires persuadés un instant qu’un nouvel ordre autoritaire pouvait stabiliser le pays, avant de mesurer qu’il écrasait la nation qu’ils prétendaient servir. Sa trajectoire est complexe, humaine, traversée de renoncements et de sursauts.
Son dernier geste, celui d’un homme qui refuse d’exécuter des ordres injustes, puis celui d’un homme qui se compromet pour protéger ses compatriotes, dessine en creux un patriote sincère. Mort dans l’anonymat d’un camp, il laisse derrière lui une histoire dont les contradictions disent beaucoup de la Belgique en guerre.
Un destin où l’ombre et la lumière coexistent et où l’on comprend, peut-être, que résister peut prendre des chemins inattendus.


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