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Liquidation de Railcoop : la fin d'une utopie ferroviaire ?
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Liquidation de Railcoop : la fin d'une utopie ferroviaire ?

Un article rédigé par Anne Kerléo - RCF, le 16 avril 2024  -  Modifié le 17 avril 2024
Je pense donc j'agis Railcoop, la fin d'une utopie ferroviaire ?

La liquidation judiciaire de Railcoop devrait être prononcée le 29 avril par le tribunal de commerce de Cahors. Clap de fin prévu donc pour la coopérative ferroviaire, mais les promoteurs du projet estime qu'il laissera des traces positives dans le monde ferroviaire en France et qu'une autre manière de penser le train est possible : hors du tout TGV. Dans l'émission Je pense donc j'agis sur RCF, Anne Kerléo et ses invités tirent les enseignements de cette utopie ferroviaire qui a fédéré près de 15 000 sociétaires et 36 collectivités de 45 pays différents. Car Railcoop a intéressé au-delà des frontières hexagonales. 

Intercités SNCF © Wikipedia Commons Intercités SNCF © Wikipedia Commons

L’entreprise Railcoop disparaît, je ne pense pas que le projet disparaisse en tant que tel”. Ainsi s’exprime Nicolas Debaisieux, directeur général de Railcoop, alors que la liquidation judiciaire de la coopérative ferroviaire devait être prononcée le 29 avril prochain par le tribunal de commerce de Cahors. Une audience a eu lieu ce lundi 15 avril au tribunal, qui a mis sa décision en délibéré à cette date, mais tout porte à croire que Railcoop sera liquidée : la coopérative avait indiqué dès le  27  mars que c’était désormais l’issue inévitable de l’aventure et Nicolas Debaisieux le confirme ce mardi 16 avril : “il n’y a pas beaucoup de suspense”. L’entreprise avait été placée en redressement judiciaire en octobre 2023. 

Sortir du modèle tout TGV

Née en 2019, Railcoop avait pour projet de relancer les lignes de train du quotidien, à commencer par la liaison Lyon-Bordeaux sans passer par Paris, une ligne abandonnée par la SNCF il y a 10 ans. “L’idée de base de Railcoop, explique Nicolas Debaisieux, c’était de sortir du modèle du tout TGV qui est très spécifique à la France : les autres pays européens n’ont pas du tout le même fonctionnement”. A travers le modèle de la Société coopérative d’intérêt collectif (SCIC), Railcoop souhaitait “associer les collectivités locales qui sont regardées de façon un peu distante par les acteurs du ferroviaire - les communes, les communautés de communes- et qui pourtant sont essentielles pour faire vivre l’offre ferroviaire sur les territoires”. 

Des difficultés économiques prévisibles

C’est une décision du tribunal de commerce de Clermont-Ferrand, le 21 mars, qui  a précipité la chute de Railcoop : le tribunal a donné raison à la société qui stockait les rames de la coopérative et qui réclamait 800 000 euros de frais de garage à Railcoop. Patricia Pérennes, économiste, spécialiste du transport ferroviaire au cabinet Trans-missions, explique qu’elle a “toujours pensé que ce projet ne fonctionnerait pas en raison de difficultés économiques prévisibles”, même si, ardente promotrice du rail, elle aurait souhaité que ça marche et était même sociétaire de Railcoop. “On savait que cette aventure rencontrerait forcément des bâtons dans les roues et de grandes difficultés” , renchérit Céline Boivin, en charge du segment rail au sein du groupe Egis.

Je pense donc j'agis Le train : moderne hier, moderne demain ?

Manque de visibilité sur l'accès aux "sillons" de circulation des trains

Selon Patricia Pérennès, “les deux soucis majeurs auxquels a été confronté Railcoop c’est l’accès au matériel roulant  -acheter des trains- et l’accès au réseau ferroviaire”. Sur ce second point elle explique : “il faut réserver ce qu’on appelle des sillons, c’est-à-dire des droits de passage, plusieurs années en avance, il y a tout un processus assez complexe. Et pour un acteur externe c’est très difficile d’entrer dans ce système”. Railcoop avait pourtant réussi à obtenir ces fameux sillons, mais avec un manque de visibilité sur le long terme explique Nicolas Debaisieux : “quand on commande des sillons on a une vision annuelle : SNCF réseau était en capacité de nous dire : je sais pour 2025 que vous allez avoir tel sillon”. Mais pas pour 2026. Compliqué pour obtenir des financements : “quand vous devez financer un projet de plusieurs dizaines de millions d’euros, que vous allez voir des banques et que vous leur dites : je sais que je vais pouvoir circuler en 2025 mais 2026, 2027, 2028, je ne sais pas, c’est compliqué” témoigne le directeur général de Raicoop. 

10 millions d'euros par rame, un coût trop élevé pour une coopérative ?  

Sur l’autre point majeur de difficulté, l’accès au matériel roulant, Patrica Pérennès estime que le modèle coopératif atteint ses limites, en raison du coût très important des équipements : “on est aux alentours de 10 millions par rame pour du matériel neuf sur ce type de ligne” explique-t-elle. Et pour un service régulier, une ou deux rames ne suffisent pas “ il faut en avoir cinq, six, voire une petite dizaine” estime l’économiste. Pour un total approchant donc la centaine de millions d’euros”. Railcoop avait réuni au total environ 10 millions d’euros. Et Patricia Pérennes de commenter : “on voit bien qu’on ne peut pas réunir des sommes pareilles à coups de cent euros -le prix de la part sociale Railcoop- et donc il faut aller voir soit des fonds, soit des banques”. Ce qu’a fait Railcoop pour essayer de sauver la situation. Mais cela n’a pas suffi.  Et Nicolas Debaisieux regrette qu’Eurofima, mécanisme européen de financement du matériel ferroviaire garanti par la puissance publique, soit réservé à la SNCF. Pour lui, “la problématique n’est pas technique, c’est une problématique de volonté d’un certain nombre d’acteurs de s’inscrire dans une ouverture du marché et dans l'accompagnement d’autres offres”. 

La fierté d'avoir défendu un modèle alternatif de transport ferroviaire

Pourtant, même si la fin de l’entreprise Railcoop est désormais quasi-certaine, Nicolas Debaisieux déclare : “il y a quand même un sentiment de fierté de ce qu’on a fait. On a été le plus loin possible pour défendre cette idée qu’un modèle alternatif était possible dans le ferroviaire”. Et pour Céline Boivin, l’expérience Raicoop a été utile : “c’est une bonne chose que certains s’y soient collés”. Même perception chez Patricia Pérennes qui juge bénéfique “le fait que cet acteur arrive de l’extérieur et pose des questions que personne n’avait jamais posées, notamment à SNCF réseau, l’entreprise qui possède les rails”. Et elle ajoute :”je pense que ça fera évoluer les choses”. Nicolas Debaisieux estime même que cela a déjà fait bouger un certain nombre de lignes : “on voit que ça change, on voit qu’il y a des acteurs nouveaux qui rentrent sur le marché, parce qu’il y a des entreprises comme nous qui ont exprimé la volonté de faire des offres sur ce marché”.

D'autres bénéficient du travail engagé par Railcoop

Le directeur de Railcoop estime que la coopérative a aussi favorisé des évolutions en matière de visibilité sur l’accès aux fameux sillons de circulation des trains : “c’est typiquement un sujet qu’on a porté depuis plusieurs années auprès de SNCF réseau, il y a eu des évolutions : en 2023 SNCF réseau a mis en place des accords cadre, certaines entreprises comme Kevin speed qui doit se lancer, y ont eu accès sur la grande vitesse. Nous on n’a pas réussi à l’avoir sur la vitesse classique. Mais on sent que cette question de prévisibilité, de vision donnée aux acteurs, évolue”. 

L'idée portée par ce projet n'est pas morte.

Et puis, il y a la communauté Railcoop, tous celles et ceux qui ont participé à l’aventure, financièrement mais aussi en y investissant du temps, de l’énergie, de l’intelligence collective. Parmi les près de 15 000 sociétaires, 600 ont participé à des cercles de réflexion sur différents sujets liés au transport ferroviaire. “Ce qu’on sent, indique Nicolas Debaisieux, c’est qu’aujourd’hui il y a une communauté qui est engagée, qui envie d’avoir ce nouveau modèle ferroviaire, qui a produit énormément de choses au sein de la coopérative, sur le vélo, sur l’environnement, sur l’imaginaire. Il y a une volonté de poursuivre cet engagement. Sous quelle forme ? Cela reste à définir. Mais l’idée portée par ce projet n’est pas morte”. 

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© RCF
Cet article est basé sur un épisode de l'émission :
Je pense donc j'agis

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