Le destin économique de l’Europe s'est joué entre deux parties de golf
Le président américain Donald Trump est en Écosse depuis le vendredi 25 juillet pour un séjour de cinq jours. Au programme, une alternance de parties de golf et d'entretiens diplomatiques. A l'issue d'une rencontre dominicale avec la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen, Donald Trump a déclaré être parvenu avec elle à un très bon accord commercial. Mais c'est un "très bon accord" pour qui ?
Donald Trump / DR / T_Reckmann (rev)Entre deux parties de golf
Donald Trump est arrivé en Écosse vendredi 25 juillet. A peine descendu de l’avion, ce descendant de migrants écossais s’est empressé de faire une déclaration polémique sur l’immigration en Europe. Le président américain a appelé les pays européens à « se ressaisir » et à « mettre un terme à l’horrible invasion qui menace leur identité » prétendant que du côté américain, aucun immigré n’était entré aux États-Unis en juin. Une affirmation invérifiable.
Parmi les rendez-vous diplomatiques annoncés, sa rencontre avec la présidente de la Commission européenne a suscité beaucoup d'attention. Au cœur des discussions : les droits de douane que Trump menaçait d’utiliser de manière inédite dans l’histoire des relations transatlantiques, à hauteur de 30% de la valeur de tout produit arrivant sur le sol américain.
Divisés par deux
Selon l'accord conclu, ce ne sont finalement que 15% de taxes douanières que les États-Unis appliqueront sur les exportations européennes, tandis que les deux blocs lèveront réciproquement les taxes sur plusieurs produits stratégiques, dont les équipements aéronautiques, chimiques, agricoles et destinés aux semi-conducteurs. L’UE s’est aussi engagée à acheter massivement du gaz et du pétrole américains pour réduire sa dépendance à la Russie.
Aujourd'hui, la plupart des responsables politiques et commentateurs européens saluent le principe d'un accord tout en se déclarant inquiets au sujet des trop grandes concessions accordées aux Etats-Unis. Le premier ministre français François Bayrou évoque une "soumission européenne" à l'égard de l'administration Trump. En Belgique, dans les colonnes du journal Le Soir, l'économiste Eric Dor évoque "une capitulation en rase campagne face aux Etats-Unis" qui coûtera cher à l'Europe à moyen terme, en emplois comme en parts de marché.
Very good deal ou very bad trip pour Ursula vdL ?
A l'issue de la rencontre, Trump a salué "le plus grand accord jamais conclu" avec l'UE, un symbole d’"unité et d’amitié" transatlantique selon lui. Cette déclaration est un revirement de plus par rapport à ses déclarations précédentes sur l'UE qui aurait été inventée, selon lui, dans le seul but de nuire aux intérêts américains.
Nuire aux intérêts américains, pour Trump, c’est jouer à armes plus ou moins égales avec les Etats-Unis. A cet égard en effet, le marché uni européen représente un nombre non négligeable de consommateurs : environ 450 millions contre 260 millions aux Etats-Unis. L’union européenne a donc les moyens de peser économiquement, quand elle parle d’une seule voix.
Cette fois-ci, Ursula von der Leyen a surtout tenté de sauver les meubles. Force est de constater qu'elle n'y est pas parvenue. A titre d'exemple, quand l'Europe se verra appliquer 15% de droits de douane sur à peu près tous ses produits, les Etats-Unis ne paieront rien sur les armes et l'énergie qu'ils fourniront massivement à l'Europe. Il semble évident que ce "bon accord" l'est surtout pour l'industrie américaine. Ces concessions européennes, Trump les doit à ses menaces incessantes et à la stratégie du pire qu'il active en permanence. Dans La Libre Belgique, l'économiste Bruno Colmant parle de Trump comme d'un excellent négociateur sur ce dossier. L'Europe avait pourtant quelques bonnes cartes en main. Elle n'a pas su les jouer à temps.
Girouettisme
La tactique du revirement, de la menace suivie du renoncement, n’a absolument rien de nouveau pour Trump. Elle était déjà préconisée dans son livre à succès L’Art du deal, publié en 1987. Ces élans contradictoires visent à instaurer un climat d’incertitude et de tension dans le cadre d'une négociation commerciale. Un climat dans lequel l’UE a fini par ne plus vouloir s’engouffrer totalement, laissant les annonces de Trump se suivre et se contredire.
Encore plus étonnant, les marchés boursiers européens ont eux aussi fini par ne plus réagir aux menaces commerciales de Trump. On a assisté ces derniers mois à une étonnante stabilisation des bourses. La raison est simple : les revirements répétés de Trump ont obligé l’UE à toujours envisager au moins deux scénarios de réponse lors de négociations commerciales avec les Etats-Unis : l’un, cohérent et l’autre, démesurément offensif. Cela a considérablement rassuré les marchés. A tout malheur quelque chose est bon dit le proverbe. Mais cette logique européenne, pourtant efficace, a fini par céder face au bulldozer américain.
Quel est ce bruit ?
Les revirements trumpiens produisent certes de l'incertitude et de la capitulation, mais ils produisent aussi du "bruit". Et ce bourdonnement n’est pas sans effet. Selon la "théorie du bruit" chère à l'idéologue d'extrême droite Steve Bannon (architecte sulfureux de la première campagne de Trump et adepte des saluts nazis), il faut inonder l’espace médiatique d’incohérence, de fausses informations et de revirements. L'objectif est de dévier l’attention des observateurs afin d’avoir les coudées franches pour mener plus discrètement des actions décisives. C’est aussi et surtout ce dispositif de diversion-là que Donald Trump met en place vis-à-vis de l'UE depuis janvier.
Dans quel but exactement Trump agit-il ainsi ? Quels sont précisément ses objectifs européens ? Souhaite-t-il affirmer un climat de concurrence féroce au seul profit de l'industrie américaine ? C'est ce que l'accord conclu dimanche semble indiquer. Souhaite-t-il un partenariat économique individualisé avec chaque pays européen ? C'est très probablement le cas.
Mais Trump souhaite-t-il aller plus loin ? Envisage-t-il également une fragilisation politique de l'UE ? Tente-t-il de participer à son démantèlement progressif, comme ses prises de position récentes en faveur de certains dirigeants euro-septiques ont pu le laisser entendre ? Il est trop tôt pour répondre clairement à cette question cruciale, mais les revirements incessants de Trump ne doivent pas laisser croire qu'il agit sans projet clair à l'égard de l'UE.
Julien Bal @Chrom_MOSS


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