Prostitution : les associations dénoncent des parcours de sortie ralentis par les lenteurs administratives
Selon l'Observatoire national des violences faites aux femmes, près de 12 500 personnes victimes d'exploitation sexuelle, de proxénétisme ou de recours à la prostitution ont été recensées en 2024 en France.
Pour la quasi-totalité des femmes, parfois très jeunes. Quelle est la situation en Isère ? Comment celles qui le souhaitent peuvent être sorties de la prostitution ? Et sont-elles suffisamment accompagnées ?
Rodolphe Baron, fondateur et délégué général de Solenciel, qui accompagne la sortie de la prostitution, est l'invité du Focus du jour.
Solenciel embauche des femmes dans les métiers du nettoyage pour les aider à sortir de la prostitution (crédits photo : Solenciel)RCF Isère : Quelle est la réalité aujourd'hui sur le terrain, ici en Isère? Et surtout, qui sont ces femmes derrière les chiffres ?
Rodolphe Baron : La réalité a beaucoup bougé en quelques années. La prostitution est devenue totalement invisible, puisque la prostitution de rue ne représente aujourd'hui plus que 2% de la prostitution. Tout est passé sur Internet. Les femmes concernées sont en majorité des femmes étrangères, venant d'Afrique, d'Europe de l'Est et également de pays asiatiques.
Et puis on a un nouveau phénomène qui commence à être pris en compte, c'est la prostitution des mineurs. On parle de 15 000 à 20 000 jeunes filles, françaises, entre 14 et 18 ans.
RCF Isère : Le Parquet de Grenoble a été un des premiers en France à ouvrir une cellule dédiée aux mineurs. Est-ce qu'on voit déjà des résultats ?
Il y a une vraie prise de conscience, c'est un travail complexe, il faut arriver à aborder la question, pour que les travailleurs sociaux de l'Aide sociale à l'enfance arrivent à les accompagner. Mais il n'y a pas vraiment de dispositif adapté, pour le moment. Les associations investies sur la prostitution réfléchissent et font déjà des choses, évidemment. Et nous Solenciel, on réussit à adapter nos parcours pour pouvoir embarquer ces jeunes femmes dès 18 ans, voire même essayer de descendre dès 16 ans. Donc oui, il y a des premiers résultats qui sont encourageants, mais il va falloir investir beaucoup plus de moyens.
RCF Isère : Les possibilités de sortir de ce système sont très difficiles. Et c'est là qu'intervient votre association, Solenciel. Quelle est sa mission ?
C'est de proposer aux personnes qui veulent sortir de la prostitution un contrat de travail pour avoir un salaire, soit dans les métiers de la propreté soit dans la restauration collective. Et autour de ce contrat de travail, un accompagnement social pour toutes les questions de santé, de santé mentale, d'hébergement et de logement, les ouvertures de droits administratifs et l'apprentissage de la langue française, qui est une condition sine qua non de l'insertion sociale et professionnelle. Rien qu'à Grenoble, 80 femmes attendent une place à Solenciel. Elles sont venues frapper à notre porte, on les a rencontrées, mais aujourd'hui on n'est pas capable de les intégrer dans nos parcours.
RCF Isère : Que prévoit la loi ?
La loi du 13 avril 2016 considère que toute personne en prostitution est victime d'un système plus large dans lequel il y a des responsables : les proxénètes, quand il y en a, et les clients. Et puisqu'elle est victime, l'État doit l'aider. Elle peut donc postuler à un Parcours de sortie de prostitution (PSP), organisé par chaque préfecture. Ce parcours prévoit une autorisation provisoire de séjour, avec le droit de travailler, si la personne n'a pas de papier. Elle prévoit aussi une petite allocation financière de 342 euros par mois.
Ces parcours sont organisés par une commission préfectorale, dans laquelle siègent tout un tas d'acteurs institutionnels comme l'Agence régionale de santé, le procureur, la gendarmerie, la police, l'éducation nationale… L'entrée se fait via une association agréée. Il y en avait trois en Isère, dont la nôtre. Ca permet de résoudre différentes problématiques pour permettre réellement de sortir de la prostitution.
RCF Isère : Sauf que ces commissions, ici en Isère, ça fait un moment qu'elles ne se sont pas réunies?
Oui, la dernière commission a été réunie en décembre 2024. Sauf qu’il faut une commission pour qu'elles puissent rentrer dans le parcours.
Depuis quasiment un an, il n'y a eu aucune entrée en parcours de sortie de prostitution possible puisque pas de commission organisée. C'est une vraie problématique quand on connaît le nombre de victimes de la prostitution et le nombre de personnes qui sont venues taper aux portes de nos associations pour en sortir.
Normalement c'était deux fois par an, en décembre et en juin. Celle de juin a été reportée plusieurs fois avant d'être finalement annulée, mais je n'ai pas les raisons.
RCF Isère : Et pour celles qui sont déjà dans un parcours qui a été acté par la préfecture?
A la fin du parcours de deux ans, s’il s'est bien passé, la loi prévoit que la préfecture délivre un titre de séjour de manière à permettre une insertion définitive en France. Sans titre de séjour, vous n'avez plus le droit à un travail, à un logement, tout s'écroule. On a une difficulté globale en Isère pour obtenir des rendez-vous pour les titres de séjour. On a par exemple six personnes qui ont terminé leur parcours de sortie de la prostitution le 15 janvier 2025. Deux sont encore en attente d'un rendez-vous, dix mois plus tard. Nous avons pris la décision de les maintenir en contrat, même si elles n'ont plus d'autorisation de travail.
RCF Isère : Vous vous mettez donc dans l'illégalité pour pouvoir continuer à les aider?
Ca ne nous est pas reproché directement, mais effectivement. Elles ont perdu tous leurs droits donc on le fait, à minima pour qu'elles aient un salaire et qu'elles ne retombent pas dans la précarité, voire dans la prostitution. Ce serait une aberration après deux ans de parcours d'accompagnement organisé et financé par l'État.
RCF Isère : Vous lancez un appel à la préfète de l'Isère. Quelle réaction attendez-vous de sa part ?
C'est de pouvoir la rencontrer, qu'elle puisse comprendre ce qu'est Solenciel et que l’on puisse avoir de nouveau notre agrément pour les Parcours de sortie de prostitution et que cette commission préfectorale puisse se remettre en place pour relancer le processus.
Les difficultés administratives que l’on rencontre viennent créer une violence administrative qui s'ajoute à la violence physique déjà subie et ça, ce n'est pas acceptable.
RCF Isère : Les réseaux ne les remplacent pas?
Je pense que c'est une idée qui est doublement fausse : d'abord, les réseaux n'attendent pas qu'une personne sorte pour en amener d'autres. Ils en amènent le maximum parce qu'il va générer un maximum de profits. Une femme qui sort, c'est 3 à 5 000 euros par mois en moins. C'est une perte sèche pour le réseau. Et puis, quand une femme sort, elle va donner du courage à d'autres. Quand on les accompagne on leur dit de déposer plainte. Quand les autres sortent, ça fait deux, trois, quatre dépôts de plainte contre la même personne. Ça donne des moyens à la police, à la justice de faire des enquêtes et de démanteler ces réseaux. Une femme qui sort de la prostitution, ça freine les réseaux : financièrement, c'est sûr, et potentiellement juridiquement.
L’association Solenciel recherche des bénévoles : des marraines et des accompagnateurs/trices de sorties culturelles. Contact et informations à retrouver sur : www.solenciel.fr


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