Prix Goncourt : "Leurs enfants après eux", de Nicolas Mathieu
Christophe Henning nous présente "Leurs enfants après eux", un livre de Nicolas Mathieu, publié aux éditions Actes Sud, couronné hier par le prix Goncourt.
Vous le savez, le Goncourt, c’est la consécration, le graal, le jackpot… À la clé, une reconnaissance littéraire, un vrai succès de librairie et des droits d’auteur en conséquence. Cette année, c’est donc Nicolas Mathieu qui décroche la timbale, récompensant une écriture chirurgicale pour une histoire rude mais maîtrisée, une fresque sociale que seule la littérature peut restituer avec une telle force. Les années 1990, la crise bat son plein, les hauts fourneaux sont condamnés, et la vie s’arrête à Heillange, commune symbolique d’une Lorraine exsangue. En quatre étés de 1992 à 1998, nous suivons Anthony, 14 ans, qui "glande", comme tous ceux de son âge. Les vies à la dérive se diluent dans l’alcool, les petits trafics, et les amours compliqués. Et les jeunes sont comme leurs parents : ils sont paumés.
"Les familles poussaient comme ça, sur de grandes dalles de colère, des souterrains de peines agglomérées qui, sous l’effet du pastis, pouvaient remonter d’un seul coup en plein banquet." Il y a aussi la castagne : si on n’a pas de présent, on espère encore avoir un avenir, mais rien n’est moins sûr. La chronique sociale ne tombe pas dans la caricature – il est vrai que l’auteur est de cette génération, qu’il a vécu le naufrage économique de cette région. 400 pages qui viennent nous bousculer, nous déranger, parce que Nicolas Mathieu porte la plume dans la plaie d’une société malade. Il écrit au plus juste, sans fard, sans masque… C’est peut-être cela qui me gêne, en dépit de la force du roman.
Quelques réserves pour ce livre qui décroche quand même le prix Goncourt !
Un prix ne fait pas tout… Et ce n’est pas une science exacte : je l’avoue, l’an dernier, je crois que Bakhita, le très beau livre de Véronique Olmi, aurait dû l’emporter. Et David Diop, auteur de "Frère d’âme" (éd. Seuil), était mon favori cette année, je vous en parlerai dans une prochaine chronique. Le prix de Nicolas Mathieu est certainement mérité, mais deux réserves : tout d’abord, le style très "vrai" conduit à un langage très cru, familier, voire vulgaire, que je trouve fatigant. Des réserves aussi, sur le côté glauque et détaillé des scènes de violence et de sexe à répétition.
Lecteurs, sachez-le : ce livre est un témoignage hyperréaliste d’un monde oublié, d’une violence sociale banalisée et d’une jeunesse perdue. Un roman noir qu’on peut lire, bien sûr, qu’on prend comme un coup de poing ; vous voilà prévenus !
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