Pourquoi la France a pris du retard dans le développement du football féminin

En 2024, on a enregistré 251 369 licences féminines. Ce qui n'avait encore jamais été atteint par le passé dans l'Hexagone pour du football féminin. “Depuis la Coupe du Monde, il y a effectivement de plus en plus de licenciés dans les clubs. Maintenant, la vraie question à se poser, est-ce que ces jeunes filles se sentent bien et assez accompagnées dans leur pratique ? Et la réponse est non" nuance Pauline Le Moueilic, présidente de l’association graine de footballeuses qui milite pour le développement du football féminin dès le plus jeune âge. 

La France en retard sur le reste de l’Europe

“La France n'a pas pris le tournant et elle ne s'est pas saisie correctement de cet enjeu-là pour changer les mentalités. Il y a beaucoup de filles qui n'osent pas pousser la porte d'un club et ça, ce sont des choses à changer” poursuit Pauline Le Mouelic, elle-même joueuse senior. Si l’on regarde les autres grandes nations européennes. Elles sont allées plus vite et plus loin que nous, que ce soit en nombre de licenciés ou en résultats sportifs de leurs clubs professionnels et des équipes nationales. L’Espagne, championne du monde en titre, l’Angleterre championne d’Europe il y a quatre ans ou l’Allemagne ont notamment pris une solide longueur d’avance. “La France était précurseur. On a investi en Europe plus vite que nos voisins, ce qui a permis à l'Olympique Lyonnais de gagner plusieurs ligues des champions” rappelle Vincent Chaudel, économiste du sport.  “Malheureusement, on n'a pas su garder cette avance. Nos voisins ont embarqué les grands clubs, et les grands clubs ont pu soutenir financièrement, économiquement une dynamique” ajoute-t-il. 

Des inquiétudes sur le plan financier 

Cette logique financière constitue un motif d’inquiétude pour l’avenir du football féminin de haut niveau en France. “La crise des droits TV du football masculin va avoir un impact assez négatif sur l'économie du football féminin. Aujourd'hui, le football féminin a encore besoin d'être soutenu par le football masculin pour se développer” souligne Vincent Chaudel. Les droits TV du foot féminin en Espagne Angleterre ou Allemagne sont, par ailleurs largement supérieurs à la France. 

Un manque de moyens dans les clubs

La crise financière semble un bon prétexte pour justifier du manque de moyens alloués aux sections féminines. Mais le cadre professionnel a été mis en œuvre plus vite chez nos voisins. La ligue est professionnelle en Angleterre depuis 2017. Depuis 2022 pour l’Espagne. En France, la création d’une ligue professionnelle (LFFP) remonte à tout juste un an. Et il existe une fracture entre les cadors du championnat comme l'Olympique Lyonnais et le PSG et les autres clubs. Un gouffre si l’on regarde les échelons inférieurs. En 2024, les joueuses de Brest, en division 3 avaient dénoncé leur condition de travail et de vie avec des logements insalubres, des salaires non respectés et un manque de considération. 

Au sein de l'UNFP, le principal syndicat des joueurs et joueuses, on suit le dossier de prêt, mais on constate des blocages des clubs sur des fondamentaux comme une convention collective. “Le métier de footballeuse professionnelle est exactement le même que celui de footballeur professionnel. Malgré tout, les clubs sont encore opposés à une convention collective qui reprend des choses qui existent depuis très longtemps chez les garçons comme une couverture, en cas de pépin de santé pour éviter les grosses précarités” explique le vice-président Fabien Safanjon. La convention collective des footballeuses pro est donc encore au point mort. “Les clubs se cachent derrière, justement, le contexte économique. Mais encore une fois, est-ce que ce sont les filles qui doivent souffrir du contexte économique"? 

14 millions d'euros pour le football féminin en 2025-2026

Le président de la LFFP, Jean-Michel Aulas, ancien président de l’OL aux huit ligues des champions, vise des objectifs ambitieux, notamment, concernant les centres de formations et pour attirer ensuite le public dans les stades. Les efforts se voient pour certains clubs, mais d’autres. Au niveau amateur, on peut s’interroger sur la motivation de certaines structures, pour pousser la pratique du football féminin explique Pauline Le Mouelic. “Il y a des financements qui existent pour les sections de football féminin dans les clubs. Mais au final, on se rend compte qu'un club peut utiliser cet argent exclusivement pour les garçons et ne pas rendre de compte derrière”. La fédération française a budgété 14 millions d’euros pour développer le foot féminin la prochaine saison. La FFF vise elle les 500 000 licenciées en 2028.

Mais les moyens financiers ne sont pas la seule difficulté.

“Même s’il y a eu de gros progrès pour changer le regard sur le football féminin et casser les stéréotypes reste un enjeu majeur, il y a beaucoup préjugés discriminants qui se font dès la cour de récré” souligne Pauline Le Mouelic. “Au-delà de ça... Il y a plein d'autres barrières. Est-ce que les jeunes filles, les femmes, se sentent en sécurité quand elles vont faire du sport, et notamment du football. Parfois, on a des terrains et des créneaux qui sont potentiellement dangereux pour nous. Parce qu'on rentre très tard le soir", explique-t-elle.

En Allemagne, l'une des implications les plus significatives du football féminin est dans la promotion de l'égalité des sexes et dans la lutte contre les stéréotypes de genre. Au final, cela permet aussi de construire un public. Les supporters allemands seront notamment 61 000 à se déplacer à l’Euro en Suisse, 41 000 d’Angleterre et seulement 16 000 de France. Mais avec 600 000 billets déjà vendus, le championnat d’Europe bat un nouveau record d’affluence pour un Euro, preuve qu’il existe un fort potentiel public. En France, un trophée permettrait peut-être également d’accélérer le développement de la discipline.