Philippe Meirieu : « L’éducation est un pari sur l’humain »
Il y a un an, au Salon Éduc' 2024 à Marche-en-Famenne, le pédagogue Philippe Meirieu nous partageait sa vision de l’éducation. Un an plus tard, en 2025, ses paroles résonnent avec encore plus d’actualité. L’éducation, l’inclusion, la crise des métiers de l’humain : autant de défis que la société peine à relever.
© Matthieu Riegler, CC-BYPhilippe Meirieu, figure majeure de la pédagogie contemporaine, continue inlassablement de défendre une éducation inclusive et humaine. Selon lui, l’éducation ne figure pas en tête des priorités sociétales. Pire :
Nos sociétés choisissent souvent l’exclusion et la répression plutôt que l’éducation.
À ses yeux, éduquer, c’est s’attaquer aux causes profondes des crises actuelles : qu’elles soient sociales, écologiques ou démocratiques, plutôt que d’en traiter les symptômes. La véritable solution, dit-il, se trouve dans une éducation pensée sur le moyen et le long terme capable de refonder une société plus fraternelle.
L’éducabilité, un pari essentiel
Au cœur de sa réflexion se trouve un concept clé : l’éducabilité. Pour Meirieu, tout individu, quel que soit son parcours ou ses difficultés, est capable d’apprendre et de s’émanciper. « Il faut croire en la possibilité pour chacun de progresser, même quand tout semble perdu. » Un pari, dit-il, car il ne peut jamais affirmer qu’un élève est irrécupérable. Abandonner serait reconnaître que l’on a tout tenté... ce qui, selon lui, n’arrive jamais.
Mais ce pari, la société peine à le faire, notamment face à ceux qui mettent à l’épreuve le système : les jeunes en échec, en rupture, ou attirés par la violence et les addictions. Ce sont précisément ceux-là qui devraient bénéficier d’un effort éducatif renforcé.
Sur la question de l’inclusion scolaire, Meirieu reconnaît les avancées mais reste prudent. Il redoute une tendance à la facilité : punir plutôt qu’accompagner. Intégrer les élèves aux besoins spécifiques demande des moyens, du temps, de l’engagement humain… des ressources que le système peine à mobiliser.
La tentation du « tout contrôle » et de la réponse punitive est grande, là où il faudrait déployer des réponses patientes et complexes. Meirieu pose une question cruciale : « Nos sociétés donnent-elles vraiment à l’éducation la place qu’elle mérite ? »
Les métiers de l’humain à bout de souffle
La pénurie d’enseignants, en Belgique comme en France, est un symptôme parmi d’autres d’une crise plus large. Pour Meirieu, tous les métiers de l’humain, éducation, santé, psychiatrie, animation, etc.) sont en crise. Ils sont mal rémunérés, mais surtout, ils ne sont plus valorisés. « Ceux qui les exercent ont la sensation que l’humain passe après le technocratique. »
Il alerte : quand un soignant passe plus de temps à remplir des formulaires qu’à accompagner un patient, c’est tout un modèle qui vacille. Et c’est là, selon lui, que les vocations s’effondrent.
Des machines oui, mais pas sans l’humain
Face à l’essor de l’intelligence artificielle, Meirieu ne tombe pas dans le rejet technophobe. Il voit dans les technologies des outils utiles… à condition qu’elles libèrent l’humain au lieu de le remplacer. « Une machine ne tiendra jamais la main d’une personne en détresse. »
Les métiers de l’humain sont, selon lui, les métiers d’avenir. Mais ils doivent être reconnus, soutenus, protégés. Sans quoi, dit-il, la solitude (déjà en forte hausse) ne fera que croître, creusant encore davantage les fractures sociales.
En bref, il faut « Rallumer les Lumières » comme le propose Meirieu dans le titre de son dernier ouvrage. Une formule qui résume bien son combat : résister à la tentation de l’obscurcissement et parier, encore et toujours, sur l’intelligence, la solidarité et l’émancipation par l’éducation


"Derrière chaque livre se trouve un nom, une personne" (Marek Halter). Soulevons le voile sur les auteurs et acteurs du monde littéraire qui se livrent entre les lignes.
