Philippe Lamberts (conseiller d’Ursula von der Leyen) au micro de Julien Bal
Interview de Philippe Lamberts, conseiller à la transition vers une économie climatiquement neutre auprès de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen.
PHILIPPE LAMBERTS / European ParliamentDes ponts entre climat et économie
Depuis qu’il est conseiller auprès d’Ursula Von der Leyen, la parole médiatique de l’ancien eurodéputé Écolo Philippe Lamberts est rare. Il n’est en effet ni le porte-parole de la Présidente de la commission, ni celui du groupe écologiste qu’il a présidé pendant dix ans au Parlement européen. Il a désormais un rôle de facilitateur chargé de créer des ponts entre les chantiers climatiques et les enjeux économiques. Philippe Lamberts a accepté de balayer les quatre sujets suivants pour RCF : l’écologie, évidement, le dossier ukrainien ensuite, puis la politique migratoire européenne et enfin le lien entre foi et politique.
Quotes :
Écologie (min 6) :
Il y a un sentiment assez répandu dans la société que quand des efforts sont demandés, ce sont un peu toujours les mêmes qui doivent les faire et toujours les mêmes qui parviennent à s’en tirer sans devoir lever le petit doigt. Et ce sentiment d’injustice, il est profondément enraciné, il est instrumentalisé par certains, mais on ne peut pas non plus dire qu’il n’existe pas et qu’il n’est pas fondé.
Ukraine (min 22) :
Que le président américain et son homologue russe aient envie de régler cette question entre autocrates dans le dos des Européens, c’est évident. Maintenant, est-ce que les Européens sont prêts à monter au créneau ? Sont-ils prêts à prouver qu’ils sont capables de fournir la majeure partie de l’aide à l'Ukraine, mais aussi être capables, le cas échéant, de prendre le relais de ce que d'autres, comme les Américains, ne feraient plus ? Et là, on a un gap dans nos capacités. En particulier dans le domaine du renseignement, dans le domaine de la production de munitions, l’Union européenne n'est pas intégralement en mesure de remplir le vide que laisserait le départ des États-Unis de la coalition qui soutient l'Ukraine. Vous vous rappelez cet épisode que j’ai trouvé extrêmement humiliant pour les Européens et qui intervient 6 mois avant l’invasion à grande échelle de l’Ukraine par Poutine : la débâcle de Kaboul. On est là autour du 15 août et subitement, parce que les États-Unis ont décidé de quitter le terrain, nous n'avons d'autre choix que de dire « On se casse aussi », parce que nous n'avons pas la capacité de rester de manière autonome. Et là, s'il faut rendre quand même à Emmanuel Macron ce qui lui appartient, la préoccupation de l'autonomie stratégique des Européens est une préoccupation qui a été portée pendant très longtemps par la France et pendant très longtemps de manière un peu seule.
Ursula von der Leyen (min 27) :
C'est une personne pour qui j’ai beaucoup d’admiration. Vous allez dire : c’est normal que le disiez car vous bossez pour elle. Mais en fait, non, je bosse pour elle parce que j'ai de l’admiration pour elle. C’est une femme qui, comme tout être humain, est imparfaite, mais c’est une femme qui a du courage. Et en effet, c'est la fille spirituelle, en tout cas la fille politique d’Angela Merkel. Je ne suis pas sûr qu’Angela Merkel, présidente de la Commission européenne, aurait réagi de manière aussi forte et aussi juste à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Et l’une n’est pas l’autre. Et là-dessus, comme sur le lancement du pacte vert européen, elle a fait preuve d’un très grand courage politique. Et le courage, ça consiste aussi à aller parfois à contresens de la tendance naturelle de votre propre famille politique. C'est un secret pour personne que la famille politique d'Ursula von der Leyen n'était pas spécialement enthousiaste par rapport au pacte vert européen. Et pourtant, elle l'a lancé parce qu'elle est convaincue que c'est une question existentielle pour l'humanité. Elle n'a pas changé d'opinion.
Politique migratoire (min 32) :
Avons-nous la capacité d’accueillir ? Parce qu’accueillir, c’est du boulot. C’est du boulot, évidemment, pour la personne qui arrive chez nous, c’est du boulot pour la société qui accueille : le logement, l’enseignement, etc. C’est bien sûr un atout, mais c’est aussi des efforts. Est-ce qu’on peut dire qu’on est arrivé à la corde, qu’on ne sait pas faire plus ? Certains pays, il faut le reconnaître, ont fait beaucoup. Quand on se rappelle de la guerre en Ex-Yougoslavie, de ce que la Suède, l’Autriche, l’Allemagne ont fait. Ce sont des pays qui ont accueilli beaucoup. Il n’est donc pas illégitime de dire : on a une capacité d’accueil, mais cette capacité n’est pas infinie. Cela fait partie du respect aussi du citoyen que de reconnaître qu’on peut faire des choses mais qu’on ne peut pas les faire sans limite. Certains pays sont allés très loin, d’autres pas tellement. Et donc, est-ce qu’on a encore de la capacité d’accueil ? Probablement qu’il en existe en Europe. Mais elle n’est pas infinie. Et ça demande du boulot.
Usage politique de la foi (min 37) :
Quand on voit le retour de l’argument de vente religieux dans la politique, je suis inquiet, parce que je n’oublie pas cette phrase très juste qu’on retrouve dans l’Évangile : « Rends à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu ». Autrement dit, la question du pouvoir est une chose, la question de la conviction en est une autre. Et il ne faut pas mélanger les deux. Si on lit la Genèse, ce sont d’abord des paroles de séparation : le jour, la nuit, la terre, l'eau, avant le peuplement. Autrement dit, il faut distinguer les choses pour y voir clair. J’espère que les convictions peuvent nourrir l'action politique, mais se servir de la religion comme argument de vente dans la politique, je trouve ça extrêmement dangereux. Donald Trump qui revendique l’Amérique chrétienne pour lui, et une majorité catholique, par exemple, qui vote Trump aux États-Unis, c’est interpellant. Parce qu’on ne peut pas dire que la pratique de cet homme incarne très fort les valeurs de l’Évangile – ou alors j'ai raté un épisode. Là, on a un vrai problème. Tout en étant chrétien moi-même, je suis un fervent partisan de la séparation de l’Église et de l’État. Autrement dit : la loi, elle s’écrit dans les parlements.


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