Père François Cassingena-Trévedy : "Ma vie claustrale maintenant, ma communauté, c'est la paysannerie du Cantal"
Le père François Cassingena-Trévedy est un moine ermite bénédictin qui a choisi de vivre sa vie religieuse dans le Cantal. Après 40 ans de vie dans un monastère, il a choisi en 2020 de s'installer dans sa région de cœur, l'Auvergne, au plus près des paysans du territoire. Il se définit désormais comme un "moine paysan". Rencontre.
Le père François Cassingena-Trévedy aide une trentaine d'exploitations /Image fournie par le père François Cassingena-Trévedy Vivre au plus près des territoires, de ceux qui le façonne, c'est le choix qu'a fait il y a 5 ans le père François Cassingena-Trévedy. Ce moine bénédictin, rattaché à l'Abbaye Saint-Martin de Ligugé (Vienne) vit en ermite désormais à Sainte-Anastasie, près de Murat et d'Allanche, au cœur du Cantal. Une vie de prière et d'activité auprès des agriculteurs. Il témoigne sur RCF.
Martin Obadia : En 2020, vous avez pris la décision de vivre en Auvergne, comme ermite, après 40 années de vie dans un monastère. Pourquoi ce choix ?
Je suis toujours rattaché à mon monastère d'origine, mais avec un statut particulier, de solitaire ou d'ermite. Je suis un solitaire social parce que j'ai une vie sociale très riche et je suis toujours moine bénédictin, mais un moine paysan ou prêtre-ouvrier puisque je suis prêtre aussi. Ça répond à un désir profond, à la fois de retirement, de solitude et d'amour de l'Auvergne qui est certainement un des plus puissants fils directeurs de ma vie.
Vous êtes donc rattaché à un monastère de la Vienne et donc vous avez pris ce chemin en 2020 et vous vous êtes installé dans le Cantal en 2021. Il y avait une forme de ras-le-bol, une envie de renouvellement?
C'est pas un ras-le-bol mais ça correspond à un appel profond qui était là. Et puis c'est vrai que l'année du Covid était une année un peu spéciale, un peu étrange. En moi, ce désir était là depuis longtemps. En 2015, j'avais traversé le Cézallier à pied, ce qui avait donné lieu à mon livre le Cantique de l'Infinistère, qui m'avait un peu ouvert les portes du pays, ce pays que je célébrais beaucoup dans ce livre. Et puis c'est vrai que c'est un chemin, pas de ras-le-bol, mais de tristesse d'une certaine manière par rapport à l'état du monde, par rapport à certaines choses dans l'Église qui me chiffonnent, et la soif de ce retirement. Du reste, Saint Benoît prévoit qu’un moine qui a vécu en communauté peut, dans le déploiement de son itinéraire monastique, achever et poursuivre par une vie solitaire.
Le Cantal ne reste pas simplement une réserve d'Iroquois, mais un territoire d'une beauté naturelle extraordinaire et d'une beauté humaine aussi, avec des personnes merveilleuses. Et je pense à tous ces visages de paix, d'agriculteurs, d'agricultrices, de jeunes, d'anciens, qui pour moi sont mon livre d'heures et ma profonde joie intérieure.
Le Cantal, qu'est-ce qui vous a attiré dans ce territoire ?
Alors je connais évidemment toute l'Auvergne et j'ai commencé par le Puy-de-Dôme et c'est ma traversée du Cézallier à pied qui a été pour moi une illumination, je dirais, spirituelle, l'austérité de ce paysage. Ce que j'aime dans le Cantal, c'est sa ruralité profonde. Le Cantal est une île dans sa solidité, dans sa fierté aussi, je dirais, une fierté cantalienne que je partage, un aspect un peu taiseux aussi. Mais le Cantal, je ne masque pas du tout, bien sûr, les difficultés de vie, d'emploi. Tout cela, je le vois bien, mais le Cantal ne reste pas simplement une réserve d'Iroquois, mais un territoire d'une beauté naturelle extraordinaire et d'une beauté humaine aussi, avec des personnes merveilleuses. Et je pense à tous ces visages de paix, d'agriculteurs, d'agricultrices, de jeunes, d'anciens, qui pour moi sont mon livre d'heures et ma profonde joie intérieure.
En venant dans la Cantal, est-ce que vous souhaitiez apporter quelque chose au territoire, des réponses à la tristesse, au constat que vous faisiez ?
Le "Verbe s'est fait chair" et l'a habité parmi nous, et j'ai voulu partager cette aventure humano-divine et m'incarner moi-même dans ce paysage rural par affection profonde, par affinité profonde, volontairement. Et je suis devenu un paysan du coin. Je n'ai aucune prétention prosélyte ou même d'apporter quoi que ce soit, mais simplement de devenir. Je me suis incarné dans la paysannerie cantalienne jusqu'à devenir complètement, quotidiennement, concrètement, un paysan du Cantal qui va traire les vaches, qui rend des services dans les fermes. Et c'est une aventure merveilleuse, merveilleuse. Et à travers cela, je rencontre un Dieu qui se fait chair et qui est au-delà de toutes les choses artificielles et formelles. Ma vie claustrale maintenant, ma communauté, c'est la paysannerie du Cantal et c'est une vie austère, de travail, de solitude. Les paysans, ce sont des espèces de moines, et je partage, si j'ose dire, leur vie monastique à eux. Je rends service aujourd’hui dans une trentaine d'exploitations.
Ma vie claustrale maintenant, ma communauté, c'est la paysannerie du Cantal.
Vous disiez, il y a quelques mois, dans un entretien, vouloir vous confronter à une humanité concrète, quotidienne, donc au plus près des paysages et des paysans. Quelle humanité concrète avez-vous trouvé dans le Cantal, à Sainte-Anastasie?
Alors, une humanité extrêmement laborieuse, un travail énorme, quotidien, caché, extrêmement méritoire, avec des réalisations aussi diverses, des exploitations diverses, des échelles diverses, des bêtes diverses, des capacités diverses, c'est une réalité plurielle. Mais je me fonds dans chacune de ces réalités par amitié. Le matin, je me lève à cinq heures et quart, je chante les Laudes, je casse la croûte, j'enfile mes bottes et ma combinaison, et je vais chez l'un, chez l'autre et je me plie à chaque salle de traite, à chaque journée, et c'est un partage eucharistique, si j'ose dire, humain, concret, de travail. Je pense à l'expérience des prêtres-ouvriers, qui reste pour moi un phare, et qui est à mon avis une des voies d'avenir pour le ministère presbytéral, qui ne soit pas simplement un fonctionnariat du sacré, une distribution de bonnes paroles et de sacrements, mais qui soit proche des hommes réels, aujourd'hui, et c'est par là que passe l'Évangile. L'important ce n'est pas les fanfreluches, non, c'est l'Évangile, pauvrement simplement vécu au quotidien dans une proximité christique, je dirais, avec les hommes et les femmes de ce temps. Et c'est une expérience passionnante.
Votre quotidien est toujours cadré par cette liturgie des heures ?
Alors peut-être un peu souple pour les heures, mais j'ai une liturgie, les Laudes, les Vêpres, la célébration de l'Eucharistie, et tout ça prend un sens extraordinairement nouveau quand c'est appuyé, escorté par la liturgie rustique, la liturgie des tâches paysannes, donc ça donne une grande solidité à la vie et mon eucharistie n'est pas dans le vide. Mon pain eucharistique n'est pas un pain simplement désincarné, il est soutenu, alimenté, il a la substance quotidienne de ma vie, de la traite, des visages que je rencontre, des tâches que je partage, du jardin que je cultive, tout cela. Donc, on est vraiment dans une réalité solide, quotidienne et austère, parce que ce n'est pas facile.
Mais il y a eu un renouvellement de votre foi avec ce contact auprès des paysages, des agriculteurs du Cantal ?
C'est un contact ancien puisqu’un moine, dans la Règle de Saint-Benoît, travaille de ses mains. Et j'avais déjà une expérience quotidienne du travail manuel. Mais c'est vrai que ma vie spirituelle, il n'y a pas de rupture, il y a une continuité, il y a un épanouissement. Il y a un enracinement, une vérification, une fécondité. Tout cela, il y a une évolution aussi. La vie chrétienne, notre vie de foi, elle traverse des obscurités, des doutes, des nuits, des lumières, des saisons, et elle traverse la vie et elle grandit. Ce n'est pas des choses qu'on met en boîte une fois pour toutes, des petites sécurités, des petites certitudes. C'est un chemin difficile, parfois obscur, mais c'est un chemin. Voilà, “va vers le pays que je te montrerai”.
Et vous, cet amour de la Terre, du monde agricole, c'est quelque chose qui a toujours été en vous ?
Oui, ça a toujours été en moi. Depuis les vacances passées au Mont-Dore (Puy-de-Dôme) depuis 1969 où j'ai été fasciné par la paysannerie de l'époque, très rude, avec des climats très rudes, aussi des hivers rigoureux, et ce monde m'a tout de suite fasciné. Et au fond, que ce soit l'expérience avec les marins-pêcheurs du Croisic, j'ai partagé l'expérience de la pêche professionnelle sur des chalutiers, des caseyeurs en Bretagne, c'est la même aventure d'incarnation. Les métiers fondamentaux qui sont aujourd'hui souvent méprisés et qui demandent beaucoup de considération, surtout dans le contexte actuel.
Quel constat faites vous de la vie du monde agricole en le voyant au quotidien ?
De ce que je vois dans le Cantal, c'est surtout la somme de travail et avec beaucoup évidemment de contraintes, de fragilités. Mais je vois aussi une belle jeunesse et j'en vois beaucoup autour de moi, des jeunes qui en veulent, qui sont passionnés par les bêtes, et ça c'est très encourageant.
Ce dimanche, à la salle des fêtes d'Azérat (Haute-Loire), vous tenez une conférence sur le thème l'agriculture au cœur de la création. Au vu de ce constat, quel message souhaitez vous adresser aux agriculteurs ?
De continuer et d'approfondir les valeurs profondes qui sont les leurs, dans la sagesse, dans le travail, dans l'amitié et bien sûr dans le respect de la création et dans un travail qui soit à échelle humaine, qui le reste, et je dirais avec une amitié, une familiarité. Voilà, je pense à certains paysans autour de moi qui ont leur rapport aux bêtes, qui est tellement, tellement sympathique et tellement beau. Et puis il y a aussi le matériel, bien sûr, mais ne pas se laisser griser simplement par le matériel, mais être gardien de la terre. Et proposer à nos contemporains qui sont souvent complètement déracinés, qui ne savent plus ce que c'est qu'un œuf, ce que c'est qu'une vache, les réalités concrètes. Les paysans, les agriculteurs sont aujourd'hui les gardiens du réel et du concret et des racines.
J'ai trouvé un rude bonheur et que ce n’est pas un vain mot. C'est un bonheur rude, difficile, laborieux, qui traverse la solitude, l'âge, qui vient aussi.
Quand vous avez choisi de devenir ermite, vous souhaitiez trouver une sagesse de vie, l'avez-vous trouvée depuis quatre ans dans le Cantal ?
Oui, j'oserais dire que j'ai trouvé un rude bonheur et que ce n’est pas un vain mot. C'est un bonheur rude, difficile, laborieux, qui traverse la solitude, l'âge, qui vient aussi. Je ne suis plus tout à fait jeune, mais il y a vraiment une sagesse. Je n'ai pas de télé, je n'ai pas de voiture, je n'ai pas de distraction, je n'ai envie de rien de tout ça. Le feu dans la cheminée, l'horloge, le jardin, la traite, les rencontres, le coup de rouge partagé après la traite, tout cela, c'est un bonheur incomparable, incomparable.


Chaque jour à 6h35 et 7h33, rencontre avec un acteur auvergnat qui fait l'actualité.




