Pédocriminalité dans l’Église : un ancien prêtre du Nord au cœur d’une vaste enquête
C’est une affaire qui refait surface. Jacques Delfosse a été prêtre. Né et formé dans le diocèse de Lille, il y a exercé pendant près de trente ans. Déjà condamné pour deux viols sur mineurs, il se retrouve à nouveau au centre de l’attention après deux plaintes déposées en 2023 et 2024. Des témoignages qui ont poussé La Voix du Nord à rouvrir ce dossier longtemps enfoui.
Bruno Renoul publie une enquête dans la Voix du Nord sur Jacques Delfosse ©Milliped« Peut-être l’un des plus grands pédocriminels de l’Église de France »
Dès les premières lignes de son enquête, le journaliste avance une affirmation forte : Jacques Delfosse pourrait être « l’un des plus grands pédocriminels de l’Église de France ». Une formule qu’il justifie par l’ampleur des violences recensées :
« C’est le comptage des victimes. Jacques Delfosse a exercé pendant près de 40 ans dans le Nord et en Île-de-France. On a compté une cinquantaine de victimes. Il pourrait y en avoir beaucoup plus. On peut estimer qu’il en a fait une centaine. »
Le déclencheur : deux femmes sorties d’une amnésie traumatique il y a peu.
J’ai été mis en contact avec deux femmes qui se sont réveillées de leur amnésie traumatique en 2023–2024. Elles ont décidé de porter plainte après avoir redécouvert qu’elles avaient été victimes de ce prêtre. J’ai essayé de remonter la trace de ce prêtre, qui est passé par Roubaix, Villeneuve-d’Ascq et Lille. On a réussi à recontacter huit victimes, qui ont accepté de nous parler. C’est une grande souffrance pour elles encore. Des vies brisées.
Déjà condamné… mais une affaire encore ouverte
Les faits sont anciens. Jacques Delfosse a déjà été jugé par la justice civile et par la justice canonique.
Depuis 2010, il est interdit de tout ministère. Et en septembre dernier, Mgr Le Boulc’h a demandé à Rome son renvoi à l’état laïc, confirmé par le pape Léon XIV.
Pourquoi revenir aujourd’hui sur cette affaire ?
On refait sortir de l’ombre une vérité qui était cachée. Personne ne le saurait si on ne l’avait pas publiée. Pourquoi en parler aujourd’hui ? Il y a certainement d’autres victimes qui ne l’ont pas réalisé, ou qui n’ont pas osé parler. Faire tout ce travail pour faire émerger la vérité, ça peut aider les gens à s’en sortir. C’est une affaire ancienne, mais contemporaine. On s’est appuyé sur cet élément nouveau. Il n’est pas exclu qu’il y ait un nouveau procès.
Le journaliste rappelle aussi que les condamnations passées ne reflètent pas l’ampleur des faits.
« Il a été condamné pour une petite parenthèse. Deux viols, condamnés à six mois de prison ferme. Il avait réussi à faire croire que c’était une erreur dans sa vie, alors que ça a guidé tout son ministère de prêtre. Des années 60 aux années 90, il n’a cessé d’abuser d’adolescents. »
Le parquet de Lille a confirmé ce jeudi 27 novembre à RCF Hauts-de-France l'ouverture d'une enquête.
Une cellule d'écoute du diocèse de Lille, en place depuis des années, est joignable à ecoute.victimes@lille.catholique.fr .
Victimes, témoins ou proches peuvent également laisser un message sur la ligne dédiée : 06 85 07 30 96.
La ligne d'écoute ne se substitue pas à la justice. Les évêques encouragent les personnes victimes à déposer un signalement ou une plainte auprès du procureur de la république.
Comment l’Église a-t-elle réagi ?
Dans un communiqué publié hier, Mgr Le Boulc’h, archevêque de Lille, a exprimé sa « profonde compassion » envers les victimes. Le diocèse a également reçu Bruno Renoul dans le cadre de son enquête.
Mais qu’en était-il dans les années 70, 80 et 90 ?
Beaucoup moins bien qu’aujourd’hui. On a des raisons de penser que l’Église était au courant dans les années 60, mais on n’en a pas la preuve formelle.
Le journaliste, qui a rencontré l'ancien prêtre à la fin de son enquête, évoque des alertes et des rencontres qui, selon lui, n’ont pas été suivies d’effets suffisants :
« Dans les années 80, des délégations de parents ont rencontré l’évêque de l’époque (Mgr Jean Vilnet). La réaction n’a pas été à la hauteur. On peut l’expliquer par l’air du temps. L’Église n’était pas la seule à se comporter de cette façon. On n’avait pas conscience de l’effet que ça pouvait occasionner sur les victimes. Delfosse, c’est un prédateur et donc un manipulateur, qui a de l’emprise sur les gens. Peut-être a-t-il réussi à endormir les autorités religieuses. En tout cas, la réaction n’a pas été à la hauteur. »
Il ajoute :
« Il n’y a pas eu de rappel à l’ordre. On ne lui a pas retiré son lieu de prédation. En le mutant, sans l’empêcher de nuire, on a rendu possible la continuation de ses méfaits. »


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