Vatican
Les douze années de pontificat du pape François auront été un véritable bras de fer avec la Curie romaine. Des relations faites de méfiance et d'incompréhension. Le pape qui ne supportait pas l'esprit de caste au sein du clergé a-t-il réussi à réformer la papauté ?
"La chambre des larmes", c’est là que le nouveau pape entre, à peine élu au sortir du conclave, pour revêtir la soutane blanche et les ornements pontificaux. Des larmes parce que les papes ont tous éprouvé le poids écrasant des responsabilités qui venait d’un coup peser sur eux. François a été élu dans un contexte de crise - scandale financier, crise des abus sexuels. Et si la conscience aigüe de l’énormité de sa charge avait guidé le pape François tout au long de son pontificat ?
Malgré les alertes sur son état de santé, il est allé au bout du synode sur la synodalité. Et s’il a tenu à ce grand chantier de réforme, c’était pour "modifier le fonctionnement de l’Église universelle", selon Frédéric Mounier. "Je pense que Bergoglio a très vite compris que cette monarchie absolue avait atteint ses limites et qu’il fallait réfléchir à un autre système de pouvoir." Le pape François a-t-il converti la papauté ?
Bergoglio était sans aucune illusion vis-à-vis des dérives de la Curie et il a tout fait pour tenter de lutter contre ça
Faut-il voir le pontificat de François comme une lutte incessante entre un pape décidé à réformer l’Église et la Curie romaine ? La Curie, c’est l’ensemble des responsables des dicastères et des administrations du Vatican. "C’est une cour de la Renaissance, qui fonctionne comme toutes les cours du monde avec des intrigues, avec des combats intérieurs, tout ça entouré parfois de miel et de sucre et d’eau bénite mais c’est extrêmement violent !” raconte Frédéric Mounier, ancien correspondant au Vatican pour La Croix, journaliste RCF (Les Racines du présent, Où va la vie) et auteur du livre "Le pape François - Une vie" (éd. Presses du Châtelet, 2023).
Du temps où il était archevêque de Buenos Aires, Mgr Jorge Bergoglio avait pris l’habitude de se tenir le plus loin possible des intrigues de la Curie. Et de ce qui représentait "à ses yeux des mécanismes pervers", selon Frédéric Mounier. Sans doute est-ce pour cela qu’il avait refusé, sous Jean-Paul II, la responsabilité d’un dicastère. Tout au long de son pontificat, François aura "secoué la Curie", comme dit Frédéric Mounier. Curie, qui, de son côté a construit "une sorte de mur de sable autour de Bergoglio pour attendre de laisser passer l’orage de ce pape que la Curie n’a jamais compris".
On se souvient du discours qu’il a prononcé trois jours avant Noël 2014, où a listé les quinze "maladies curiales" : se sentir "immortel" ou à l’abri des critiques, "l’Alzheimer spirituel"… Les mots du langage spirituel cachaient mal la teneur très politique. Le ton était donné. Après cela, chaque prise de parole du pape devant la Curie était "attendue avec crainte et tremblement". "Bergoglio était sans aucune illusion vis-à-vis des dérives de la Curie et il a tout fait pour tenter de lutter contre ça."
Peut-on placer en vis-à-vis de ce bras de fer avec la Curie l’attention aux pauvres, souvent défendue par le pape François ? S’il est entré chez les jésuites en 1958, Jorge Bergoglio est resté proche des franciscains, séduit à la fois par leur proximité avec les pauvres et leur attention à la nature. "Ce n’est pas tout à fait par hasard s’il a choisi de s’appeler François", souligne le vaticaniste.
Cette attention aux plus pauvres, une grande caractéristique de son pontificat, comportait-elle une dimension politique ? "Le vrai pouvoir, a déclaré le pape François le 22 septembre 2024 lors de l’Angélus, ne réside pas dans la domination du plus fort, mais dans l’attention aux plus faibles." Et "entendre la clameur des pauvres" tout comme la "clameur de la terre", peut être vu comme un programme d’écologie intégrale proposé dans son encyclique Laudato Si’, parue en 2015.
Le latino-américain Bergoglio a été tenté par la théologie de la libération, sans toutefois adhérer à la lutte armée, précise Frédéric Mounier. "C’est un fervent acteur de ce que l’on peut appeler la théologie du peuple. Pour lui, les plus pauvres - le peuple, d’une façon générale, doit être considéré comme l’expression de la sollicitude de Dieu à l’égard du monde." Ce qui explique que “dans tous ses voyages pontificaux, il y avait toujours un épisode consacré aux plus pauvres, aux bidonvilles, aux marginaux, aux personnes qui sont apparemment sans avenir… C’est vraiment sa théologie du peuple."
Lorsque le clergé s’érigeait en caste aristocratique et en plus se livrait à des abus sexuels, là, le pape se mettait en position de fureur et devenait très, très méchant…
Le pape des "périphéries" est aussi celui qui a dénoncé le cléricalisme comme étant l’un des facteurs de la crise des agressions sexuelles dans l’Église catholique. "Dire non aux abus, c’est dire non, de façon catégorique, à toute forme de cléricalisme", écrivait-il dans sa “Lettre au peuple de Dieu” du 20 août 2018.
En mai de la même année, l’ensemble des évêques chiliens avaient présenté leur démission sur fond de crise des abus sexuels. On a pu le voir au cours de cette période : ce que ne supportait pas le pape François, c’était "l’esprit de caste" au sein du clergé. "Lorsque le clergé s’érigeait en caste aristocratique et en plus se livrait à des abus sexuels, là, le pape se mettait en position de fureur et devenait très, très méchant, très, très violent et très, très colérique. Il ne supportait pas cette vision du clergé", a pu observer Frédéric Mounier.
Jorge Bergoglio a connu la dictature militaire en Argentine (1976-1983). "Il savait ce que c’est qu’un pays où les libertés sont mises à bas, décrit Frédéric Mounier. Il a vécu dans sa chair, dans sa vie quotidienne, la suppression des libertés fondamentales, le règne de l’arbitraire politique." Il savait aussi ce qui pouvait résulter d’une accointance étroite entre le clergé et le pouvoir en Amérique latine. L’attention aux libertés individuelles faisait partie des "véritables balises du fonctionnement intérieur, intime, spirituel et pastoral de Bergoglio", selon Frédéric Mounier.
Sans doute était-ce pour toutes ces raisons - contre le cléricalisme, pour une attention aux plus pauvres… - que le pape argentin a plaidé pour une décentralisation au sein de l’Église et pour une contribution plus importante des conférences épiscopales. Ce programme était annoncé dès novembre 2013 dans "Evangelii gaudium" (par. 32). Il a fait l’objet de nombreux débats lors de la dernière session d’octobre 2024 du synode sur la synodalité.
Très attendu, son texte de 2022 a permis d’amorcer une réforme de la Curie : "Praedicate evangelium" ou “Annoncez l’Évangile, constitution apostolique "sur la Curie romaine et son service à l’Église dans le monde" - tout est dans le titre ! Par ce texte, François a donné la possibilité à des laïcs de diriger des dicastères. Le 6 janvier 2024, une femme, Sœur Simona Brambilla, a été nommée préfète du dicastère pour les Instituts de vie consacrée et les sociétés de vie apostolique.
Une ouverture aux laïcs, une volonté de décentralisation, un désir de synodalité qui tranchaient avec l’autorité dont a fait preuve François. Le caractère paradoxal de sa façon d'exercer le pouvoir a été souligné à de nombreuses reprises par les observateurs. "C’est avec François que culmine l’exercice du pouvoir papal, déclarait par exemple dans Le Monde, l’historien Giovanni Maria Vian, auteur du livre "Le Dernier pape" (éd. Cerf, sept. 2024). Aucun pape n’avait revendiqué le pouvoir à ce point auparavant."* Il est par exemple intervenu, de manière inhabituelle pour un pape, dans les débats lors du synode sur la famille en 2015.
"Je crois que le pape François a toujours eu la réputation d’être un homme difficile à vivre, abrupt, colérique", admet Frédéric Mounier. Est-ce ce caractère qui lui a permis d’initier ces chantiers réforme ou bien l’a-t-il au contraire empêché de rallier à lui une partie du clergé et d’aller plus loin ? Reste que selon l’ancien directeur de L’Osservatore Romano, Giovanni Maria Vian, après François, "le pouvoir lié à la papauté ne pourra plus être exercé de la même manière”.*
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