Montée des nappes phréatiques en Normandie : un risque invisible mais réel
Avec le changement climatique, le niveau des nappes phréatiques a tendance à augmenter en Normandie, favorisant les risques d’inondations. Au sein du projet Rivages normands 2100, des chercheurs ont travaillé sur les conséquences de cette remontée des nappes souterraines.
L'élévation du niveau des nappes augmente la quantité d'eau dans les rivières ©RCF MancheDes chercheurs de l'université de Rennes 1 ont dévoilé en mars 2025 les résultats du projet Rivages normands 2100. Lancé en 2019 avec la DREAL Normandie et l'agence de l'eau Seine-Normandie, ce projet avait pour but de comprendre les impacts du changement climatique sur les nappes phréatiques. Retour sur les conclusions de cette enquête avec Luc Aquilina, enseignant-chercheur et responsable du projet.
RCF : Quand on parle de changement climatique en Normandie, on pense surtout à la problématique de l'érosion. Pourquoi vous étiez-vous intéressés à la question des nappes phréatiques, il y a six ans ?
Luc Aquilina : Parce que justement les nappes phréatiques sont sous terre, elles sont invisibles. C’est un risque qu'on ne voit pas, contrairement à l'érosion côtière que les habitants et les touristes remarquent avec des enrochements, des chemins qui s'effondrent. On sait qu’avec le changement climatique, les régimes des nappes phréatiques vont être modifiés. Dans certaines régions, les précipitations vont diminuer et donc les niveaux des nappes vont baisser. Dans d'autres régions au contraire, les pluies vont être plus abondantes, donc les niveaux des nappes vont augmenter et créer un risque d'inondation. On savait que ce risque existait sur le littoral normand. On a travaillé cette question sur une demande de la DREAL, de l'agence de l'eau et d'un certain nombre de collectivités intéressées par cette problématique.
RCF : Justement, vous constatez que le niveau des nappes phréatiques augmente en Normandie.
Luc Aquilina : Oui, tout à fait. Avec le changement climatique, on prévoit au sud de la France des régions beaucoup plus sèches, et au nord de la France, et de façon beaucoup plus marquée au Royaume-Uni, un régime beaucoup plus humide. En Normandie, on est un peu sur cette zone de transition, on ne sait pas exactement si les précipitations vont augmenter beaucoup ou pas, mais elles ont très peu de chances de diminuer. Il apparaît clairement aussi que les étés vont devenir plus longs. Les pluies vont être plus importantes pendant l'hiver, donc on va avoir des niveaux de nappes plus importants, au moins pendant les hivers, dans les dizaines d'années à venir.
Des zones de marais propices aux inondations
RCF : Avec quelles conséquences ?
Luc Aquilina : La conséquence, c'est que ces nappes sont en connexion avec les rivières. Les rivières n’existent pas uniquement à partir de l'eau de pluie. Pendant l'été, même s'il ne pleut pas pendant deux mois, il y a toujours de l'eau dans les rivières parce qu’elles sont alimentées par les nappes. Donc si on augmente le niveau des nappes, on va augmenter la quantité d'eau dans les rivières. Et sur le littoral, on a un effet entre la mer d'un côté, dont le niveau monte également sous l'effet du changement climatique, et puis les nappes phréatiques qui arrivent du continent. À la jonction entre le continent et l'océan, il y a un point où si le niveau de ces nappes augmente et le niveau de la mer aussi, cela va provoquer des inondations parce qu’il y a des moments où cette quantité d'eau ne va pas pouvoir s'évacuer. C’est particulièrement le cas sur les zones littorales. Souvent, on a sur les côtes un cordon dunaire et derrière, une zone de marée. Ces zones de marée ont souvent une altitude très faible, très proche du niveau marin et donc ces zones vont être inondées de façon plus importante, plus régulière. On a constaté dans le projet que ces zones d'inondations vont avoir tendance à s'étendre également vers l'intérieur du continent, dans toutes les zones basses et notamment le long des zones de rivières.
RCF : Quand on parle d'inondations, ce n'est pas sans conséquence sur les habitations, et sur les réseaux, quels qu'ils soient ?
Luc Aquilina : Tout à fait. Quand on parle d'inondation, il ne s’agit pas d'inondations brutales où tout d'un coup une rivière monte en crue. Non, là, c'est vraiment l'eau qui monte depuis le sol, et ça a des impacts. Ça a des impacts sur les réseaux enterrés, il suffit que l'eau soit à un mètre du sol pour qu'on commence à avoir déjà des conséquences. Ensuite, ça a des impacts sur l'agriculture. Quand l'eau commence à être au-dessus de 30 cm en dessous du niveau du sol, elle va commencer à stagner au niveau des racines, et donc ça a un impact sur les cultures. Et puis, évidemment, ça a aussi un impact sur les fondations des maisons et quand l'eau dépasse le niveau du sol, on a vraiment de l’eau dans les rues, dans les habitations.
Des réflexions à mener sur l’aménagement du territoire
RCF : Dans ce projet, quelles solutions avez-vous étudiées pour diminuer les effets de cette montée des nappes phréatiques ?
Luc Aquilina : Il y a différents niveaux de solutions. Il y a des solutions techniques sur la nature des fondations, la nature des matériaux par exemple, sur les positionnements de branchement des réseaux, etc. Il y a ensuite des solutions qui sont plus de l'ordre de la renaturation, ce qu'on peut faire vis-à-vis des sorties de rivières. Et puis il y a des solutions qui sont plus sur la mise en œuvre d'une réflexion à l'échelle des territoires. Que veut-on faire de ces territoires ? Peut-on imaginer une relocalisation de certains habitats qui vont être directement menacés ? Concernant l’agriculture, même si les aléas climatiques ne permettent plus le type d’agriculture actuel, cela ne veut pas dire qu’il n’y a plus d'agriculture possible du tout. Ça veut dire qu'on peut faire un autre type d'agriculture. Mais il faut réfléchir à comment on va accompagner les filières dans cette transformation. Notre objectif n’était pas de donner des solutions techniques toutes faites, il s’agissait avant tout d’une prise en main par le territoire pour amener à une réflexion. On a essayé de mener des ateliers avec les services techniques, avec les élus, pour prendre la mesure de comment ces territoires vont être affectés. C'est un risque un peu invisible, donc ce n’était pas évident d'accepter qu'il y avait ce risque-là en plus de celui de l'érosion. Pas évident non plus d'accepter qu'il n’y avait pas de solution technique toute faite. L'avantage, c'est qu’il ne s'agit pas de phénomènes violents, brutaux. C'est quelque chose d'assez lent, qui va se dérouler sur plusieurs dizaines d'années. Donc on a du temps pour s'adapter, pour se transformer et imaginer un autre futur pour ces territoires.


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