Méthanisation : en Normandie, un développement qui questionne
5 minutes pour comprendre… les limites de la méthanisation. Plusieurs projets normands soulèvent des interrogations sur la souveraineté alimentaire, les conséquences pour l'environnement ou encore le gain réel de cette énergie renouvelable.
La Normandie compte aujourd'hui 200 unités de méthanisation. © RCF200 unités de méthanisation sont aujourd’hui installées en Normandie, dont 65 dans la Manche et 63 dans l’Orne, selon des chiffres de Métha’Normandie. Face au développement important de la méthanisation ces dernières années, des associations en faveur de l’environnement ou des élus se dressent contre certains projets liés au développement de la méthanisation. Récemment à Athis-Val-de-Rouvre et Cerisy-Belle-Étoile dans l’Orne. Explications avec Daniel Chateigner, professeur à l’Université de Caen Normandie et coordinateur du collectif scientifique national Méthanisation raisonnable (CSNM), collectif composé d’universitaires et de chercheurs.
RCF : Vous faites partie du collectif scientifique national pour une méthanisation raisonnable. Qu'est-ce qu'une méthanisation raisonnable ?
Daniel Chateigner : C’est assez simple dans le concept, c'est peut-être un peu plus compliqué dans la réalisation. Simple dans le concept, parce qu'il suffit de dire que l'on ne va méthaniser que des déchets vrais, c'est-à-dire des déchets qui n'ont pas une meilleure utilité par ailleurs. Dire ça, c'est à la fois simple et compliqué. Le côté compliqué, c'est de s'apercevoir que des déchets vrais, il n’y en a pas beaucoup. Et si on dit pas beaucoup, ça veut dire pas beaucoup d'argent non plus. La méthanisation est vouée, si on veut la laisser à un état raisonnable, à produire très peu d'énergie parce qu'elle est peu efficace et parce qu'il n'y a pas beaucoup de déchets vrais.
Si on utilise des surfaces pour cultiver pour donner à manger aux méthaniseurs, on ne donne pas à manger aux gens ou au bétail.
RCF : Votre collectif soulève plusieurs questions notamment celle de la souveraineté alimentaire…
Daniel Chateigner : Si on utilise des surfaces pour cultiver pour donner à manger aux méthaniseurs, on ne donne pas à manger aux gens ou au bétail. Donc, il y a forcément une concurrence à la surface et cette concurrence est prégnante déjà : la méthanisation étant très peu efficace, elle va nécessiter des surfaces extraordinaires pour produire très peu d'énergie et, in fine, on fait pousser du maïs pour pouvoir alimenter le méthaniseur au lieu de faire du maïs pour donner à manger aux vaches, aux cochons. C'est ça le problème principal : on a très peu d'énergie parce que la méthode est très peu efficace, donc il faut des surfaces déraisonnables qui rentrent en concurrence avec notre agriculture traditionnelle et avec notre souveraineté alimentaire.
RCF : Le développement des unités de méthanisation se heurte parfois à des critiques. Cela a été le cas dernièrement à Athis-Val-de-Rouvre en Normandie : le conseil municipal a rendu un avis défavorable au projet d'augmentation d'une société de méthanisation pour des questions environnementales. La méthanisation présente-elle aussi des risques pour l'environnement ?
Daniel Chateigner : Oui énormément. Au CSNM, nous réfutons le fait que cette technologie diminue l'émission de gaz à effet de serre. Elle le multiplie en gros par six, si on tient compte de l'ensemble de toute la chaîne. Donc, ce n’est évidemment pas une méthode pour lutter et favoriser le climat. Ce n'est pas non plus une méthode qui va pouvoir faire quoi que ce soit sur l'utilisation du gaz, puisque le gaz naturel que l'on utilise en France est déjà à une hauteur telle que la méthanisation va tirer à peine le bout de la chaussette dessus.
Ça n'est pas une méthode pérenne dans le temps, soutenable dans le temps, ni pour l’environnement, ni pour les hommes.
Donc, il faut arriver à voir que nous n'arriverons pas à diminuer la consommation de gaz fossile grâce à la méthanisation et en parallèle on va produire tout un tas de conséquences. Il y a les conséquences de pollution olfactives, de nuisance on va dire, qui sont très prégnantes mais pas forcément celles qui sont les plus mauvaises. Et vous avez les digestats, qu'on épand dans les sols et qui vont polluer les sols, les rivières, plus les émanations qui vont aller chez le riverain et qui, à long terme, peuvent produire des bronchites chroniques et des effets sanitaires divers et variés sur la sphère ORL. La méthanisation a ces conséquences-là : c’est mesuré scientifiquement, il y a des études, nous on les recense et on voit très bien que ça n'est pas une méthode pérenne dans le temps, soutenable dans le temps, ni pour l’environnement, ni pour les hommes.
RCF : Les unités de méthanisation sont pour beaucoup mises en place sur des exploitations agricoles. Sont-elles aujourd'hui une opportunité pour les agriculteurs qui y trouvent une source de revenus complémentaires et peut-être plus stables par rapport à une exploitation agricole ?
Daniel Chateigner : On appelle « agricole » des usines, ce sont vraiment des usines. Très souvent, les agriculteurs se mettent à plusieurs, jusqu'à une dizaine ou une quinzaine, pour avoir accès aux prêts bancaires pour construire l'usine. Donc, ce sont de très grosses usines : par exemple, quand on parle de 50 000 tonnes par an de biomasse que va ingurgiter le méthaniseur, ce ne sont pas des petites exploitations agricoles. De facto, la nouvelle Programmation pluriannuelle de l'énergie de la France, la PPE 3, va dans un sens où la méthanisation est développée au niveau industriel par les grandes multinationales. Donc on est finalement dans une directive qui va à l'inverse de ce qu'on voulait. Les agriculteurs, les vrais, les petits, eux ne vont pas pouvoir aller au prêt bancaire parce qu'ils sont tous seuls. Ceux qui font de l'agroforesterie, de l'agriculture bio, eux ne pourront pas non plus.
Le petit agriculteur n'a aucun intérêt à faire ça, financièrement parlant. Climatiquement parlant, il peut avoir un petit intérêt selon comment il le monte.
Donc, in fine, les subventions vont aux gros céréaliers, aux gros éleveurs qui se sont mis en groupe, qui continuent à appeler « agricole » leur méthanisation mais qui n'a plus rien d'agricole. Les subventions sont données aux mauvais, pas à ceux qui pratiquent une agriculture durable. Ce ne sont pas des subventions justes. Par conséquent, dire que les agriculteurs vont bénéficier du développement de la méthanisation est faux et même s'ils ont un petit méthaniseur, attention : c'est une usine qui ne durera pas plus de 20 ans. Les business plans sont montés sur 15-20 ans, ensuite il faut changer le méthaniseur. Il y a plusieurs études qui montrent que, si on veut vraiment bénéficier financièrement de la méthanisation, il faut être très gros et avoir beaucoup de subventions. Le petit agriculteur n'a aucun intérêt à faire ça, financièrement parlant. Climatiquement parlant, il peut avoir un petit intérêt selon comment il le monte.


Chaque matin, la rédaction de RCF en Normandie décrypte l'actualité de notre région afin de mieux comprendre le monde tel qu'il va ou ne va pas. Du lundi au vendredi à 8h01 et 9h01.



